La Guadeloupe politique – La Guadeloupe et la représentation nationale en 1946

 Dossier Laméca

Départementalisation
La Guadeloupe de 1946

LA GUADELOUPE POLITIQUE
LA GUADELOUPE ET LA REPRESENTATION NATIONALE EN 1946

 

Le choix de parlementaires pour représenter la Guadeloupe à l’échelon national dans le difficile contexte des lendemains de la Libération et de l’élaboration d’une nouvelle Constitution Républicaine n’est pas dénué d’intérêt eu égard aux enjeux qui se profilent.

La participation effective à la Seconde guerre mondiale des Dissidents des Antilles, intégrés au sein des F.F.L. (Forces Françaises Libres), vient à point nommé conforter le discours politique local focalisé depuis 1848 sur la revendication assimilationniste vis-à-vis de la métropole. Après l’impôt du sang qui a coûté la vie à bon nombre d’Antillais au Chemin des Dames ou aux Dardanelles durant la Grande Guerre, après les manifestations en grandes pompes célébrant le Tricentenaire de la présence française aux Antilles, il devenait insupportable de perpétuer l’attitude réticente des Gouvernements successifs de la IIIème République face aux requêtes persistantes des élus des quatre vieilles colonies.

Dès lors, il convenait de donner une valeur symbolique à notre représentation nationale par le choix d’élus qui soient suffisamment crédibles pour pouvoir, sinon peser sur les décisions, du moins être à même de valoriser l’héritage du passé et en faire un argument de poids pour l’établissement de relations nouvelles avec la métropole. Les deux députés que désigne la Guadeloupe pour la représenter à l’Assemblée Nationale Constituante répondent parfaitement à ces critères :

  • Paul Valentino sort, en effet, de cette guerre auréolé du titre de premier Résistant des Antilles pour avoir victorieusement défié l’autorité de Gouverneur Sorin obéissant aux injonctions de Vichy et opté ensuite pour le camp de la France Libre. Sa crédibilité s’en trouve d’autant plus renforcée que Paul Valentino faisait déjà figure dans les années 30 d’homme politique averti, ayant forgé ses armes sur le terrain du militantisme politico-syndical aux plus belles heures du Front Populaire. Sa combativité légendaire et sa bonne maîtrise de l’argutie juridique en font l’homme de la situation en vue des débats qui se profilent.
  • Le cas d’Eugénie Eboué-Tell a, par contre, une valeur symbolique d’une toute autre nature. Elle n’est, en effet, nullement choisie sur sa valeur intrinsèque mais en hommage à son mari, le Gouverneur Félix Eboué, décédé au Caire en mai 1944. Le souvenir impérissable qu’il a laissé dans la colonie qu’il a dirigée pendant 23 mois, entre octobre 1936 et juillet 1938, s’est trouvé renforcé par ses prises de position déterminantes aux côtés du Général de Gaulle dans la résistance à l’occupant nazi. Aussi, c’est spontanément que des élus de la Guadeloupe reconnaissante proposent à sa veuve ce mandat de parlementaire au lendemain de la guerre.

Le scrutin qui préside à leur élection à la Constituante se tient le même jour que le référendum par lequel les Français sont appelés à se prononcer sur l’avenir institutionnel de la nation. Pour la circonstance, l’opinion fut préparée au vote par de larges extraits de la presse parisienne mais, surtout, par la propagande des divers partis politiques s’alignant sur les prises de position des partis nationaux. Au plan national, précisément, le Général de Gaulle appelait à voter Oui aux deux questions posées et seul le parti radical préconisait un double Non. Enfin les communistes, hostiles à la limitation des pouvoirs de l’Assemblée, ne prônaient le Non qu’à la deuxième question. Les résultats de ce référendum en Guadeloupe sont dans leurs grandes lignes à peu près similaires à ceux du vote métropolitain :

 

RÉFÉRENDUM DU 21 OCTOBRE 1945

Inscrits : 108.123.
Votants : 56.161 (51,9 %).

Première question :
« Voulez-vous que l’Assemblée élue ce jour soit une Assemblée Constituante ? »

Résultat Guadeloupe Résultat national
Suffrages exprimés 54.908 (50,7%) 19.283.882 (74,9%)
OUI 48.001 (87,4%) 18.584.746 (96,3%)
NON 6.371 (11,6%) 699.136 (3,63%)

 Deuxième question :
« Approuvez-vous l’organisation des pouvoirs publics indiquée dans le projet qui vous est soumis ? »

Résultat Guadeloupe Résultat national
Suffrages exprimés 54.909 (50,7%) 19.244.419 (74,8%)
OUI 38.093 (69,3%) 12.795.213 (66,4%)
NON 16.864 (30,7%) 6.449.206 (33,5%)

 

PREMIERE ÉLECTION À LA CONSTITUANTE (21 OCTOBRE 1945)

Parallèlement à ce référendum, les électeurs étaient appelés à choisir leurs représentants à cette Assemblée Constituante. Et ce, avec une grande inconnue, à savoir comment vont-ils réagir face à la nouvelle donne politique engendrée par la guerre ? La collusion entre une grande partie des élus d’avant guerre et le régime vichyssois du Gouverneur Sorin a contribué à discréditer les partis de droite. En témoignent les élections municipales provisoires du 27 mai 1945 et les élections cantonales des 7 et 14 octobre 1945 qui ont, en effet, confirmé la nette percée des partis de gauche, la SFIO et le tout nouveau parti communiste dont la fédération a été créée en 1944.

Ces deux élections se sont déroulées sur fond d’Entente Prolétarienne, un accord électoral signé entre ces deux partis pour faire échec à la droite. Cette dernière y a, certes, perdu quelques-uns de ses ténors mais a néanmoins confirmé sa bonne implantation locale en conservant ses bastions, surtout en milieu rural. Or, ce tout premier scrutin national voit apparaître les premières lézardes dans la belle unanimité générée à gauche par l’Entente Prolétarienne. En effet, un accord conclu entre socialistes et communistes prévoyait de faciliter l’élection aux deux sièges de député de leurs deux leaders politiques, Rosan Girard, du parti communiste, dans la première circonscription et Paul Valentino, de la SFIO, dans la deuxième circonscription. Mais, en dépit de cet accord, Valentino décide, juste avant la clôture des dépôts de candidature, de présenter Eugénie Eboué-Tell comme candidate socialiste dans la première circonscription. Ce manquement à la parole donnée lui vaudra la haine éternelle des communistes, outre le fait qu’il suscite des divergences au sein de son propre parti. Quoiqu’il en soit, la manœuvre opérée dans ces circonstances par Valentino s’avère payante au plan électoral puisque la SFIO enlève les deux sièges de députés à la Constituante.

1ère Circonscription

Inscrits : 45.383 (dont le quart est de 11.346)

Votants : 25.020 (55,1%)
Blancs ou nuls : 490

Suffrages exprimés : 24.530
Majorité absolue : 12.266

Eugénie EBOUE-TELL : 14.441 (58,8%) Elue
Rosan GIRARD : 9870 (40,2%)
Divers : 3

2ème Circonscription

Inscrits : 53.145 (dont le quart est 15.787)

Votants : 23.745 (44,6 %)
Blancs ou nuls : 433

Suffrages exprimés : 23.394
Majorité absolue : 11.698

Paul VALENTINO : 21.703 (92,7%) Elu
Maurice SATINEAU : 1372 (5,8%)
Sylvère ALCANDRE : 174 (0,7%)
Osthène CHANLOT : 146 (0,6%)

L’élection de ces deux députés socialistes pour représenter la Guadeloupe à l’Assemblée Constituante n’est pas sans conséquences. En effet, ils sont les seuls élus socialistes des quatre vieilles colonies, ce qui leur vaut de ne pas être associés à l’élaboration du projet de loi sur la loi d’assimilation présenté en mars 1946 à l’initiative des élus communistes. Par contre, si Mme Eboué-Tell ne prend aucune part aux débats sur cette question, Paul Valentino s’y singularise, lui, par son omniprésence d’autant qu’il se refuse à donner carte blanche à un processus enclenché par les communistes dont il sait qu’ils n’hésiteront pas à en faire par la suite une redoutable exploitation au plan électoral.

 

RÉFÉRENDUM DU 5 MAI 1946

Le moins qu’on puisse dire c’est que ce référendum du 5 mai 1946, contrairement à la métropole, ne mobilisa nullement l’électorat guadeloupéen. Sans doute parce que dans le contexte de crise sociale qui régnait durant le carême de 1946, la population se sentait très éloignée des préoccupations d’ordre constitutionnel. Ce scrutin avait, en effet, pour objectif l’adoption du nouveau projet de Constitution afin d’ériger la IVème République. Mais en métropole, il se déroule sur fond de mésentente entre les trois composantes du Tripartisme formant le Gouvernement : Socialistes et communistes, attachés au régime d’assemblée, préconisent le Oui contrairement au MRP qui, s’alignant sur les options présidentialistes de de Gaulle définies dans le discours de Bayeux, anime la campagne du Non. L’opinion publique française se mobilise en la circonstance mais fait échec à ce premier projet constitutionnel jugeant qu’il faisait la part trop belle aux communistes. La Guadeloupe, au contraire, vote à moins de 20% mais approuve largement le projet.

Question posée :
« Approuvez vous le nouveau projet de Constitution ? »

  Guadeloupe Total France
Inscrits 111.037   24.657.128  
Votants 21.912 (19,7%) 19.895.411 (80,6%)
Suffrages exprimés 21.314      
OUI 19.234 (90,2%) 9.109.771 (47%)
NON 2.080 (9,7%) 10.272.586 (53%)

 

DEUXIEME ÉLECTION À LA CONSTITUANTE (2 JUIN 1946)

Le rejet du projet Constitutionnel par les Français contraint de facto à un retour aux urnes pour élire une nouvelle Assemblée Constituante ayant pour mission d’établir un nouveau projet de Constitution. La rivalité naissante entre socialistes et communistes prend toute son acuité dès le choix des candidats : le parti communiste dépêche, en effet, deux de ses poids lourds pour tenter de contrer les députés socialistes sortants.

Dans la première circonscription, pour tenter d’atténuer les effets d’une candidature féminine, c’est une autre femme, Gerty Archimède, qui est parachutée dans la première circonscription pour tenter de faire battre Eugénie Eboué-Tell. En vain, puisqu’en dépit d’une participation moindre, cette dernière l’emporte largement, améliorant son score par rapport à la précédente élection.

Dans la seconde circonscription le parti communiste présente le grand rival pointois de Valentino, Amédée Fengarol qui parvient à affaiblir sensiblement le leader socialiste qui ne recueille que 44 % des suffrages au lieu des 92% obtenus en novembre 1945, ce qui laisse présager une intense compétition entre les deux hommes dans la perspective des prochaines municipales prévues pour 1947.

1ère Circonscription

Inscrits : 47.186 (dont le quart est de 11.797)
Votants : 18.815 (39,8%)
Blancs ou nuls : 433
Suffrages exprimés : 18.382
Majorité absolue : 9194

Eugénie EBOUE-TELL : 12.490 (67,9%) Elue
Gerty ARCHIMEDE : 5434 (29,5%)
Robert PIMIENTA : 209 (1,1%)
Augereau LARA : 135 (0,7%)
Georges SEGA : 83 (0,4%)
Albert Ramsamy : 16 (0,08%)

2ème Circonscription

Inscrits : 65.222 (dont le quart est de 16.306)
Votants : 18.180 (27,8%)
Blancs ou nuls : 411
Suffrages exprimés : 17.769
Majorité absolue : 6885

Paul VALENTINO : 7930(44,6%) Elu
Amédée FENGAROL : 6656(37,4%)
Maurice SATINEAU : 2996(16,8%)
Pierre MONDOR : 91(0,5%)
Narcisse DANAË : 64(0,3%)

 

RÉFÉRENDUM DU 13 OCTOBRE 1946

Lors du référendum du 13 octobre 1946 le peuple français approuve sans grande conviction, par 53,5% des suffrages, la nouvelle Constitution. En Guadeloupe, la démobilisation est totale puisque seuls 9,6% des électeurs se rendent aux urnes et approuvent eux aussi le projet constitutionnel à 57%.

Question posée :
« Approuvez vous le nouveau projet de Constitution ? »

  Guadeloupe Résultat National
Inscrits 114.762   24.905.538  
Votants 11.108 (9,6%) 16.793.143 (67,4%)
OUI 6282 (57%) 9.002.287 (53,5%)
NON 4541 (43%) 7.790.856 (46,5%)

 

ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU 10 NOVEMBRE 1946

Contrairement aux deux précédentes élections à la Constituante qui se sont déroulées au scrutin d’arrondissement, pour cette première législative de la IVème République l’on a recours à un nouveau mode de scrutin, la proportionnelle. Celle-ci s’avère favorable aux communistes qui, comme en France, réussissent à mieux mobiliser leur électorat autour des valeurs qu’ils préconisent. Il en résulte l’élection de deux des trois députés de la Guadeloupe émanant du parti communiste. La grande victime en est Eugénie Eboué-Tell dont les amitiés à droite (Tirolien) et ses hésitations entre la fidélité au socialisme et celle à de Gaulle, lui ont valu l’inimitié de Valentino au point que sa candidature est controversée au sein de la S.F.I.O.

Inscrits : 114.099
Votants : 36.454 (31,9%)
Blancs ou nuls : 557
Suffrages exprimés : 35.897

Liste Parti Communiste
(Girard, Archimède, Fengarol)
16.252 45,2%
Liste SFIO
(Valentino, Eboué-Tell, Renaison)
13.991 38,9%
Liste Grand Rassemblement des Gauches Républicaines
(Satineau, Albrand, François-Julien)
5654 15,7%

Sièges attribués :
1er siège : Parti Communiste - Rosan GIRARD
2ème siège : Liste Parti SFIO - Paul VALENTINO
3ème siège : Liste Parti Communiste - Gerty ARCHIMEDE

Signalons enfin que le 8 décembre 1946 Eugénie Eboué-Tell et Clovis Renaison de la SFIO sont élus pour représenter la Guadeloupe au Conseil de la République qui, sous la IVème République, a remplacé le Sénat. Parallèlement, c’est Justin Camprasse, également socialiste, qui est désigné comme délégué de la Guadeloupe à l’Assemblée de l’Union Française.

 

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SOMMAIRE

La Guadeloupe de 1946 - introduction
La Loi de départementalisation du 19 mars 1946

LE CONTEXTE
Les Antillais en 1946
Population et Santé publique (tableaux)
Économie (tableaux)
L'économie de la Guadeloupe analysée par son dernier gouverneur
La presse écrite et les débuts de la radio

LA GUADELOUPE POLITIQUE 
Les maires de la Guadeloupe en 1945 et 1947
La Guadeloupe et la représentation nationale en 1946
Le Conseil Général en 1946
"Ce que signifie l'assimilation"

LES HOMMES 
Joseph Pitat, l'homme fort du nouveau département
Paul Valentino et la loi d'assimilation

LES DISCOURS
Aimé Césaire
Gaston Monnerville
Paul Valentino
Raymond Vergès

Illustrations audio-vidéo
Bibliographie

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par René Bélénus

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, mars 2006 - décembre 2021