Dossier Laméca
Les quadrilles de la Caraïbe
3. APPROPRIATION, CRÉOLISATION, RE-CRÉATION
Aux Antilles au 19ème siècle, le quadrille va prendre un nouvel essor. Titillant la créativité des musiciens amateurs et professionnels de toute la région, il provoque l'émergence de genres nouveaux. En se l'appropriant en effet, les musiciens et les danseurs caribéens lui insufflent une nouvelle énergie en puisant dans leur culture africaine des éléments que le passage du milieu n'avait pas effacés. Ces éléments se manifestent de façon tangible dans les instruments de musique et dans la façon de traiter le rythme au sein de l'orchestre. Ils se ressentent aussi dans la danse, parfois de façon très évidente.
La danse
La Guadeloupe forme avec la Dominique, la Martinique et Ste-Lucie un ensemble particulier, une sorte de quadriptyque où le quadrille français s'est implanté plus profondément que dans le reste de la Caraïbe. Les quadrilles qui se dansent dans ces pays semblent n'être que des variantes les uns des autres. Outre la chorégraphie et les parcours-types constitutifs des figures, le sens symbolique accordé aux quadrilles dans chacune des îles de ce quadriptyque les rapproche encore plus. Dans le sud de la Caraïbe le discours relatif au quadrille lui fait écho, mais bien que de Trinidad à Saint-Vincent les porteurs de tradition rattachent leur tradition aux danses des salons français élégants des siècles passés, leurs quadrilles tiennent davantage des longways que du quadrille français. Il est toutefois vrai que dans les Antilles en général, le quadrille français a toujours côtoyé les longways et que cette double influence se ressent dans la plupart des quadrilles de la région. Autre facteur de rapprochement, le vocabulaire utilisé par les "callers" ou "floormasters" et les "commandeurs" de quadrille. Ils annoncent les figures et les parcours en un jargon où l'on reconnaît aisément des mots en français tels que tunay (tournez), do-si-do (dos-sur-dos), balansay (balancez), lalmint (l'allemande) etc.
La musique
Il était d'usage dans les salons français que les bals soient animés par un petit ensemble composé de domestiques dotés d'un talent particulier pour la musique. Suivant le même principe, dans les salons élégants des Antilles soumises à l'influence de la culture française, certains musiciens de bals étaient des esclaves attachés au service de la maison du maître ou alors des noirs libres enrôlés dans la milice et qui présentaient les qualités artistiques requises. Des recherches récentes suggèrent que les musiciens de bals dans les îles autrefois sous contrôle des Anglais étaient eux aussi souvent noirs ou mulâtres. Quel que soit leur statut, les musiciens d'ascendance africaine étaient particulièrement recherchés pour la musique de bal. Et c'est à eux que l'on doit l'introduction de très nombreux éléments de culture africaine dans la musique. Parmi ceux-ci on retrouve, entre autres, le principe d'exprimer les rythmes et polyrythmes par tous les instruments de l'orchestre, un intérêt évident pour les sons masqués (1) et une créativité débordante qui valorise l'improvisation et les citations aussi bien mélodiques que rythmiques. Grâce à ces musiciens d'ascendance africaine, en quelques décennies la musique des quadrilles et des contredanses s'est transformée en une expression créole nouvelle. Aujourd'hui elle est caractérisée par des rythmes complexes, les sons chuintants des idiophones ainsi que par des mélodies aux contours saccadés, que des doigts agiles déroulent sur une flûte, un violon ou un accordéon.
La composition des orchestres de quadrille varie selon les lieux et les communautés. Dans la plupart des pays de l'archipel Caraïbe ce sont des petits ensembles qui réunissent des instruments de fabrication artisanale et des instruments européens fabriqués industriellement. En général, les instruments à fonction rythmique de l'orchestre (idiophones raclés, secoués, entrechoqués, etc., membranophones et parfois aussi certains instruments à fonction mélodique tels le banjo ou la flûte en bambou) sont construits par les musiciens eux-mêmes, à partir de matériaux locaux. Les instruments à fonction mélodique (accordéon, guitare, violon...) par contre, sont pour la plupart importés d'Europe ou d'Amérique du Nord. Les instruments à fonction mélodique --guitare, banjo ou accordéon-- développent leur chant sur des séquences rythmiques qui sont particulières à chaque instrument et complémentaires les unes des autres. Elles s'ajoutent à celles qui sont émises par les membranophones et les idiophones.
String band jouant pour un quadrille en 1975 à Grant's Mountain (Jamaïque).
Enregistré par Dr Kenneth Bilby.
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(1) Les sons masqués s'obtiennent en ajoutant un objet à un instrument de musique pour en altérer le son. Par exemple le timbre, avec de la ficelle et des petits bouts de plumes ou des petits bâtonnets (allumette par exemple) qu'on pose sur la membrane d'un tambour.
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SOMMAIRE
Définition
1. Les antécédents européens : cotillon, contredanse française et longway anglais
2. Le quadrille dans les sociétés coloniales des Antilles
3. Appropriation, créolisation, re-création
4 a. Le quadrille aujourd'hui : Cuba
4 b. Le quadrille aujourd'hui : Haïti
4 c. Le quadrille aujourd'hui : Sainte-Croix et Saint-Thomas
4 d. Le quadrille aujourd'hui : Guadeloupe
4 e. Le quadrille aujourd'hui : Dominique
4 f. Le quadrille aujourd'hui : Martinique
4 g. Le quadrille aujourd'hui : Sainte-Lucie
4 h. Le quadrille aujourd'hui : Carriacou
En guise de conclusion
Illustrations musicales
Bibliographie
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par Dr Dominique Cyrille
© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2018