Dossier Laméca

Anthologie du konpa (top 15)

un guide d'écoute en 15 albums

 

1. D.P. EXPRESS - DAVID (Superstar Records, 1980)

"Comme un ouragan"

« Août 79, se yon cauchemar pou nou ! » clame en chantant Ti Manno, la voix charismatique  du D.P. Express. L’action se déroule en Guadeloupe. Certains en parlent encore...

Ce soir du 27 août, sans électricité, les musiciens de la formation haïtienne, qui ont raté l’avion pour la Martinique, couchent dans les bungalows de la Cocoteraie, le petit domaine de l’ami Nico, leur promoteur local. La tempête tropicale David approche, transformée en un cyclone menaçant. Réveillés en pleine nuit par la tornade, littéralement inondés, ils se sentent comme laissés à eux-mêmes. Au terme de trois semaines d’une tournée harassante, ils veulent rentrer à la maison. Coûte que coûte.

« Nous nous étions réfugiés dans la salle de bal se rappelle Raoul Denis jr, le premier claviériste du groupe. Assis sur le bar, les pieds dans l’eau, les synthés et les guitares complètement saucés. Il ne nous restait qu’une bouteille de Rhum Barbancourt… »

Le lendemain, avec des vents de 280 kms à l’heure - une puissance rare -, David est devenu un ouragan de force 5. Il ravage la Dominique avant de foncer sur l’île d’Haïti. Et c’est là qu’à la dernière heure d’un parcours meurtrier (deux mille morts !), il bifurque de manière drastique. Braquant soudainement vers le Nord-Ouest, il se jette dans la mer. Un véritable miracle pour les habitants de l’Artibonite !

Le récit de ces péripéties va donner une chanson épique. Mue par un patriotisme viscéral, elle reste, près de 40 ans plus tard, l’équivalent d’un hymne national pour deux générations d’Haïtiens. Aussi, pour toute la diaspora éparpillée aux quatre coins du globe, elle cristallise l’appel du retour au pays natal.

"David" par D.P. Express (extrait)

« Nan peyi m’, m’ap tounen » répètent plus de 20 fois les choristes, avec conviction. (Je retourne dans mon pays)

Mais si David, avec son tempo volontairement ralenti, reste le titre le plus emblématique du 5ème album du D.P. Express, ce volume triomphal comprend aussi quatre autres hits en béton armé. Corigé est un plaidoyer contre le harcèlement sexuel pratiqué au dépens des femmes en milieu de travail,  Ansanm Ansanm est un pot-pourri  juteux et rassembleur incluant des succès des Astros, de Bossa Combo, et de Skah-Shah, entre autres. Et, pour ouvrir et clore cet opus mémorable sur un rythme échevelé : Cèso le thème sexuellement très explicite du carnaval 1980 et le morceau de bravoure É É É É, gonflé d’énergie brute et percutant à souhait.

Bâti en 1975 sur les restes encore chauds de Les Difficiles de Pétion-Ville, un groupe phare de l’ère des mini-jazz, mais inspiré fortement par le B.T. Express, une formation funk-disco-soul afro-américaine, typique du son sale et groovy de Brooklyn, le D.P. (prononcer « di-pi », à l’américaine) est surnommé « le train » par ses fans. Le producteur et gérant des Difficiles, Papite Halloun, garde sous son aile le vétéran bassiste Porky Herissé et le guitariste soliste Eddy Wooley ainsi que deux piliers du « banc derrière » Almando Keslin et Philippe Denis. Puis il recrute intensément. Élargie à 14 membres avec un duo de cuivres, deux claviers-synthés, deux guitares, deux choristes et un chanteur aux allures de rocker Hervé Bléus, la nouvelle horde du konpa-lourd carbure à plein régime.

Fini l’amateurisme musical. Le D.P. est une véritable locomotive, une usine à hits. La première formation uniquement composée de professionnels à temps plein, tous entièrement dédiés à leur rude boulot. Le groupe joue presque tous les jours et honore fréquemment plusieurs contrats dans le même 24 heures. Le départ de Bléus amène la titularisation d’un puissant chanteur des Gonaïves qui a œuvré aux États-Unis au sein des Astros et surtout du Volo Volo de Boston (la voix deCaressé, c’était lui). Emmanuel Antoine Rossini Jean-Baptiste (alias Ti Manno), est un véritable leader qui va vite porter le groupe à son apogée. Mais l’aventure sera de courte durée. Le chanteur démarre un nouveau prototype dès 1981, le Gemini All Stars avec le jeune claviériste Ansyto Mercier. Vaincu par le SIDA moins de cinq and plus tard, sa fin tragique, le 13 mai 1985, laisse des millions de fans stupéfaits. Et on parle, encore aujourd’hui, de cette fièvre qui le consumait tout entier lorsque, torse nu et ruisselant de sueur, il galvanisait les foules.

Car si l’on pouvait réaliser un sondage sur le meilleur album de konpa de tous les temps, on peut déjà parier que David se retrouverait sans erreur dans le Top 5 du grand public comme dans celui des critiques spécialisés.

 

D.P. EXPRESS - David (Superstar Records, SUP-111, 1980)


Titres :
A1 É,É,É,É,  A2 Corigé  
B1 David, B2 Ansem' ansem', B3 Cèso

Musiciens :
Eddy WOOLEY, guitare solo
Ignace EVENS, guitare d'accompagnement
Jean-Robert HÉRISSÉ, guitare basse
Ernst GEORGES, trombone
Serge COLIN, trompette
Antoine Rossini JEAN-BAPTISTE chant, chœur
Lesly DAUPHIN, chœur
Perez J. ALVAREZ, chœur
Almando KESLIN, batterie
Philippe DENIS, percussions
Marc Bellande JACQUET, percussions
Pierrot KERSAINT, tambours
Claudy FRÉMONT, claviers
Raoul DENIS, Jr., claviers

Enregistré à Audiotek (Delmas, Haiti) par l’ingénieur Robert Denis

 

______________________________________

SOMMAIRE

______________________________________

par Ralph Boncy et Georges "Georgio" Léon-Emile

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2019