Dossier Laméca
Anthologie du konpa (top 15)
un guide d'écoute en 15 albums
7. MAGNUM BAND - PAKA PALA (Ciné Record, 1983)
"Frères d’arme et frères de sang"
Les frères André et Claude Pasquet sont les neveux de Dòdòf Legros, un légendaire chanteur haïtien des années 1940 et 1950, à la fois crooner et défenseur de l’authenticité. André - qu’on appelle Dadou - est un guitariste prodigieux avec un phrasé étincellent et un finger picking original, tandis que Claude alias Tico ou « Monsieur le Duc » est un as des peaux et des cymbales; un batteur expert avec un style flamboyant qui passe pour l’enfant-terrible du konpa au début des années 1970.
La fougue de l’un, la précision de l’autre vont faire les beaux jours, respectivement, du Tabou Combo et de Les Gypsies, deux groupes de Pétion-Ville. Le Tabou fraîchement débarqué à New York joue au modeste club La canne à sucre et engage Dadou pour remplacer son soliste, Albert Chancy, que ses parents ont expédié au Canada. Les Gypsies eux vont triompher au carnaval de Port-au-Prince avec Tico qui exécute pendant trois longs jours, à ciel ouvert, le plus long solo de batterie jamais entendu aux Antilles : Baila Toto ! (Gargotte).
Dadou n’est encore qu’un ado lorsqu’il embarque pour la France, l’’année d’après, avec le Tabou en pleine gloire. Les solos pleuvent mais après les succès délirants de 8th Sacrement et The Masters, le jongleur de notes qui chante aussi très bien, quitte le groupe le plus vibrant du moment. Il donne l’accolade à Tico son frangin, rapatrié aux États-Unis avec Les Gyspsies de Queens, pour fonder avec lui (le 24 juin 1976) le Magnum Band, un groupe profondément mystique mais qui va renouveler le konpa avec une classe incroyable en honorant son distingué slogan « La seule différence ».
Les albums Expérience et Jehova paraissent coup sur coup sous étiquette Marc Records, respectivement en 1979 et 1980, impressionnent les aficionados par leur force sereine, leur équilibre orchestral et leur criante originalité. Au début, c’est Essud Fungcap qui est le chanteur principal alors que Dadou pose sa voix très soul sur des reprises du folklore (Panama m’ tonbe) ou des compositions reggae (Substitute for your love). Puis, le maestro assume son beau timbre bluesy et garde le micro dans le disque suivant Dadou Pasquet - Back-up by the Magnum Band « Cherche la vie » produit par le label de Jean-Claude Verdier, Musique des Antilles, et qui sort quelques mois plus tard.
Décidément très prolifiques (mais aussi très inspirés !), les frères Pasquet signent avec un troisième producteur en deux ans, Fred Paul, avec qui ils font deux albums dans un court intervalle. Piké Devan que certains vénèrent encore pour Way to heaven et Adoration avec l’extraordinaire Libèté qui raconte l’épopée des boat people. Et là, pendant que sa côte de popularité culmine aux Antilles, le Magnum décide de plier bagage et de rentrer au bercail.
« Nou retounen lakay paske se la n’gen kay » dit, d’entrée de jeu, la première chanson; une magistrale ouverture. Très à propos. Lakay met la table, comme on dit, et ouvre superbement le disque quasi thématique produit par Yvon Ciné, ex-bassiste du Tabou Combo et jadis compagnon de route de Dadou. Accueilli à l’aéroport par les cameras de la télévision nationale, le groupe des frères Pasquet tourne le dos à la Floride et se pointe à Mais-Gâté avec Nestor Azérot, un chanteur de Martinique, et deux américains du Midwest, le trompettiste Cliff Ratliff et l’excellent saxophoniste Tom Mitchell dont les idées s’accordent au quart de tour avec la vision de Dadou pour les arrangements de cuivres toujours jazzy, tranchants et d’une précision chirurgicale.
Si Paka pala n’est pas l’album le plus connu du Magnum, il reste le plus homogène, le plus équilibré, le plus parfait. Enregistré dès le retour du groupe en Haïti, regorge de trouvailles mémorables. Le refrain de la chanson-titre cite au passage L’ouverture de Guillaume Tell, un opéra du 19ème de Gioachino Rossini, et on y joue aussi du Gershwinn - une superbe version de Summertime avec la participation d’André Déjean et de Mushy Widmaier.
"Paka pala" par Les Frères Déjean (extrait)
La plume d’Assad Francoeur, le grand pourvoyeur de Coupé Cloué, fait encore mouche dans le texte de Pardon, et le tout se termine en rigolade par Antioutioute, (en chaleur) une méringue carnavalesque qui n’est pas passée à l’histoire mais qui démontre la nette volonté du Magnum à cette époque de jouer le tout pour le tout et de s’imposer au niveau de la masse populaire au lieu de se cantonner dans une quelconque caste élitiste ou religieuse.
Par contre, s’il est une expression qui est passée dans les mœurs, c’est bien Paka pala (une transcription phonétique en créole de « ne peut pas ne pas être là »). C’est une manière, dans le langage courant, de répondre présent, de témoigner de son appartenance. On utilise aussi cette formule magique pour qualifier quelque chose ou quelqu’un d’incontournable ou d’indispensable… Et chaque fois que l’on emploie ces quatre syllabes, on repense au Magnum Band, un indispensable, dans notre ADN, pour toujours.
MAGNUM BAND - Paka pala (Ciné Record, CR 12-158, 1983)
Titres :
A1 Lakay, A2 Pardon, A3 Summertime
B1 Paka pala, B2 Antioutiout (carnaval 1983)
Musiciens :
André “Dadou” PASQUET, chant, chœur, guitare solo
Jean-Claude PAUL, chœur
Lucas CANTON, chœur
Nestor AZÉROT, chœur
Tom MITCHELL, saxophones
Ricot OLIVIER, trombone
Cliff RATLIFF, trompette
Roland CAMEAU, guitare rythmique
Michel MOÏSE, guitare basse
Claude “Tico”PASQUET, batterie, percussion, chœur
Varnel PIERRE, congas
Grégory LAPORTE, claviers
André DÉJEAN (invité), trompette
Mushi WIDMAIER (invité), cordes
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SOMMAIRE
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par Ralph Boncy et Georges "Georgio" Léon-Emile
© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2019