Dossier Laméca
Anthologie du konpa (top 15)
un guide d'écoute en 15 albums
15. MICHEL MARTELLY - I DON'T CARE (Josy Records, 1994)
"Le président qui danse"
Le Franky Vincent du konpa avait-il des ambitions politiques ? Bien malin qui aurait pu s’en douter en 1986, lorsque se garçon en chemise blanche animait des soirées mondaines dans la bourgeoisie haïtienne ! Réformé de l’académie militaire, bien éduqué mais un brin délinquant, Michel Martelly crée une ambiance du tonnerre avec sa gouaille sympathique et ses premiers tubes : Ou La La et Konpa Forêt des Pins, orchestrés par l’excellent Fabrice Rouzier. C’est là qu’il devient Sweet Micky.
Quand survient le coup d’état contre Jean-Bertrand Aristide, fin 1991, Micky est déjà en passe de s’imposer comme le chanteur le plus populaire et le plus en demande au pays, jouant partout et gagnant sans cesse du terrain. Pendant l’embargo de deux ans imposé par la communauté internationale pour déstabiliser le gouvernement de facto, Martelly, qui a pris beaucoup d’assurance, organise la résistance, mobilise ses fans qu’il rebaptise les « grenadiers » et s’autoproclame publiquement «président du konpa ».
Ce fêtard débonnaire qui se dresse ouvertement contre le retour du président déchu pourfend aussi l’hypocrisie et tous les tabous. Sweet Micky, ce bouffon, se transforme alors en vrai leader. Il joue avec son public, le provoque, l’insulte même parfois, puis le fait manger dans sa main, l’instant d’après. Son charisme et son arrogance compensent largement la précarité du trio qu’il anime. Flanqué seulement de ses deux larrons Alex Tropnas (guitare) et Welton Desiré (guitare basse), le chanteur désinvolte joue négligemment d’un petit clavier, profitant des séquences et des arrangements programmés par ce diable d’Ansyto Mercier. L’ensemble groove donc joyeusement.
Produit et distribué par Josy Records, une initiative du commerçant de Miami Eddy Aurélien, I don’t care aurait pu être un disque double mais il aura, de préférence, un jumeau né le même jour, le déluré Pa Manyen. À part Fragile qui frise pastiche du zouk love, tout déboule ici : Ouvè Baryè, Gato, Haiti, deviennent des succès imparables, instantanés.
Et on culmine avec un doublé spectaculaire… Dans I don’t care où Monsieur Martelly étale sans vergogne sa richesse : « Je suis multi-millionnaire !» crache-t-il en faisant l’apologie de la contrebande. Puis, dans une parodie surréaliste et prémonitoire, il donne lecture d’un décret désopilant, en direct du Palais National. Son « message à la nation » qui caricature le vieux discours du temps de Papa Doc sonne le coup d’envoi d’une cavalcade de seize minutes : l’exécution du Carnaval ‘94 de Sweet Micky, ponctuée par le thème « Micky sauvage » (Micky est bestial).
À noter que pendant toute la durée de son quinquennat comme premier citoyen de la république d’Haïti (2011 à 2016), Martelly , le président élu, n’a pas raté une occasion de se produire en public avec Tabou Combo, Magnum Band, Yole Derose et Julio Iglesias, entre autres. Son mandat de chef d’Etat a même inspiré des vocations chez les artistes comme Don Kato, Gracia Delva (Mas Konpa) et Jacques Sauveur Jean qui se sont tous lancés dans la vie politique.
Sublime ironie : le fondateur du PHTK (Parti Haïtien Tèt Kalé) a repris la route cet été avec son T-shirt rose (sa couleur fétiche) et la boule à zéro; revenant ainsi à son premier métier. La morale de cette histoire : ne jamais sous-estimer un chanteur de konpa, même quand il crie haut et fort… qu’il s’en balance !
Michel Martelly - I don’t care (Josy Records, CDJR 30, 1994)
Titres :
1 I don't care, 2 Carnaval '94, 3 Ouvè baryè, 4 Fragile, 5 Gato, 6 Haïti
Musiciens :
Michel MARTELLY, chant lead, claviers, chœurs
Alex Tropnas: guitare, chœurs
Wilton DESIRE, guitare basse, chœurs
Ansyto MERCIER, arrangements, programmation
Enregistrement et mixage : Audiotek (Haiti)
Ingénieur : Robert Denis (prise de son)
Mix : Jean Raymond Leconte, Alex Tropnas, Michel Martelly et Ansyto Mercier
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SOMMAIRE
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par Ralph Boncy et Georges "Georgio" Léon-Emile
© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2019