Dossier Laméca
La percussion palos de la République Dominicaine
2. LES CONFRÉRIES RELIGIEUSES AFRO-DOMINICAINES (COFRADÍAS) ET LEUR MUSIQUE PALOS
Origine et rayonnement des cofradías
Les grands tambours dominicains (appelés palos ou atabales) sont associés aux confréries religieuses afro-dominicaines (cofradías) comme étant la voix de leurs saints patrons. Les confréries dominicaines proviennent du système des guildes de la Méditerranée médiévale, chacune étant associée à une paroisse. Ces guildes ont aussi été fondées par les africains présents dans le sud de l'Espagne près de cent ans au moins avant la conquête de l'Amérique. Appelés ladinos, ces africains christianisés ont été les premiers africains à être amenés dans la colonie de Santo Domingo vers 1502.
La cofradía espagnole est composée uniquement d'hommes avec un système de leadership tournant. Mais déjà en Espagne, puis à Santo Domingo, cette structure a fait l’objet d’une réinterprétation. La direction s’est vue occupée en majorité par les femmes, et cela pour toute la durée de la vie et de façon héréditaire. Autant de lignées familiales sont ainsi constituées dont le saint patron devient alors le totem de la famille.
La cofradía africanisée s’est diffusée dans d’autres aires culturelles de l’Afro-Amérique latine. Elle a intégré les cofrarias côtières du Brésil colonial, les cabildos cubains, et des organisations similaires au Venezuela, au Panama, au Pérou et ailleurs. La cofradía est aussi devenue une institution majeure de l'Amérique indigène, adaptée au catholicisme amérindien, notamment au Mexique et en Amérique centrale.
En Afro-Amérique latine, où le concept panafricain d’ancêtre est prégnant et par conséquent l’importance accordée aux morts est forte, la cofradía a servi de société de secours mutuel et de société d'inhumation.
Les tambours palos
Les cofradías ont toutes la même structure et la même fonction : une direction principalement féminine, l'utilisation des tambours palos (ou d’autres tambours), des activités rituelles, en particulier la célébration de leur saint patron, et des rituels funéraires.
Cependant, en matière de musique, les confréries se distinguent par la structure de l’orchestre, les caractéristiques des tambours palos, les genres musicaux, les rythmes et les paroles.
Tous les palos dominicains sont faits de troncs évidés (le terme palos signifie « arbres »), ils sont joués avec les mains et le tambour maître est celui qui est le plus grand et le plus large.
Quelques exemples de diversités orchestrales et rythmiques
Dans le Nord-Est, l’orchestre palos comprend deux tambours : palo mayor (« tambour maitre ») et alcahuete (littéralement « souteneur »). Tous deux sont montés d’une peau de bœuf fixée à l’aide de cerceaux et de chevilles. L’orchestre comprend également une à trois güiras (racleurs métalliques) et un petit bâton appelé catá (« frapper ») qui est frappé sur le corps du palo mayor.
Les rythmes joués sont le palo corrido (« courir », probablement en référence à son tempo rapide), le palo aguarachado, plus moderne et moins sacré ; et enfin le palos de muerto (« tambours des morts »), plus sombre.
Dans la partie ouest de cette région, Monte Plata, les instruments sont bien de l'Est dominicain, mais les rythmes sont de la région Centre-Sud; ici viennent s’ajouter des hochets faits de courges appelés maracas.
Dans la partie nord-ouest de cette région qui se trouve dans le Cibao oriental (nord de la vallée), Cotuí y Cevicos, les chevilles des tambours sont très petites.
"Palo corrido East" (M. E. Davis, 1973)
Palo corrido du type de l'Est (enregistré à El Seybo).
"Palo abajo Peravia" (M. E. Davis, 1973)
Palo abajo de la région historique de "Savannah de l'Esprit Saint" du centre-Sud (enregistré à El Limonal, Peravia).
Dans le Centre-Sud, l’orchestre se compose de trois tambours mono-membranophones (une seule peau) très étroits : le palo mayor placé entre deux alcahuetes, et parfois une güira. Alors que les palos du Sud sont pratiquement identiques aux tambours ngoma d'Afrique centrale (Bantou) ou aux tambours yuka cubains, plus larges.
Les orchestres du Centre-Sud jouent les rythmes palo abajo et palo arriba traditionnellement associés à la mort. Ces deux rythmes sont généralement joints en un seul, alors que dans l'enclave de Los Morenos à Villa Mella (province de Santo Domingo Norte), ce sont des rythmes séparés.
Dans la cofradía de Santa María à San Cristóbal, des rythmes supplémentaires sont joués, comme le seis et le tarana. Dans cette partie nord de la province de San Cristóbal, d’une communauté à l’autre, les spécificités sont nombreuses. A Doña Ana, un rythme rapide est appelé atabales. Dans cette région du Centre-Sud, les palos peuvent être surnommés canutos ou cañutos.
Dans le sud-ouest intérieur, l’orchestre est identique. Cependant, les tambours sont beaucoup plus larges, le deuxième alcahuete, appelé Chivita, est plus court, et aucune güira n’est utilisée.
Le rythme principal est le palo corrido ou palos del Espiritu Santo (« tambours du Saint-Esprit »).
Deux spécificités
Les congos de Villa Mella
La grande cofradía de l'Esprit Saint de Villa Mella est une enclave afro-dominicaine avec des tambours spécifiques, les congos, qui ont un répertoire propre de vingt et un morceaux. Ils comprennent deux tambours bi-membranophones montés de peaux de cabri lacées, l’alcahuete, d’un tiers de la taille du congo mayor. S’ajoutent comme idiophones, la très spécifique canoíta, une sorte de clave dont une des deux pièces est creusée en forme de petit canot. Et des maracas simples jouées par les femmes qui chantent la réponse.
La confrérie de l'Esprit Saint de Villa Mella et sa musique ont été inscrites au Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité de l'UNESCO en 2008 (film réalisé par l'UNESCO).
"Congos calunga" (M. E. Davis, 1973)
Congos de Villa Mella : "Calunga", leur chanson la plus sacrée.
Baní
C’est à Baní (province de Peravia) que se trouve une autre enclave importante avec une musique spécifique, la sarandunga de la cofradía à Saint-Jean-Baptiste (voir chapitre 3).
Instruments et musique y sont également uniques : trois tambores (petits tambours bi-membranophones montés de peaux de cabri lacées) et une guïra (grattoir métallique). Les genres musicaux sont : capitana, jacana, bomba et morano.
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SOMMAIRE
1. Panorama de la religion populaire dominicaine et de sa musique
2. Les confréries religieuses afro-dominicaines (cofradías) et leur musique palos
3. Étude de cas : la confrérie de Saint-Jean-Baptiste de Baní et sa sarandunga
4. La fête de saint dominicaine (velación) et sa musique
5. La danse aux tambours palos (baile de palos)
6. Musique palos transnationale... des racines dans le vent !
Illustrations musicales
Bibliographie
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par Dr Martha Ellen Davis
Archivo General de la Nación (Dominican Republic) & University of Florida (USA)
© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2018