4. Les deux créolisations de Guy Konkèt

Dossier Laméca

Le gwoka.
Entre anticolonialisme et post-colonialisme

4. LES DEUX CRÉOLISATIONS DE GUY KONKÈT

|Le Gwoka comme auralité créole, premier moment : Guadeloupe|
|Le gwoka comme auralité créole, deuxième moment : Paris|
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Conclusion : Créolisation et longue durée coloniale|

 

L’auralité anticoloniale de Gérard Lockel est avant tout marqué par la rupture. Par la nature même de son projet anticolonial, elle renie les enchevêtrements culturels et affectifs qu’a produit la colonisation. C’est une auralité nationale et par cela même, elle ne pourrait être une auralité créole, une auralité de synthèse. Rosan Mounien résume le dilemme posé par la répudiation de toute mixité dans l’idéologie musicale de Lockel :

Or le problème c’est, la rupture jusqu’à quel point et la synthèse à partir de quoi ? C’est cette problématique là que lui il ne pose pas. Ce qui fait que lui, il est resté sur une ligne idéologique très fermée. Or l’identité culturelle est toujours quelque chose de partagé. Il n’y a pas de culture qui soit, même si elle est originelle, elle ne peut pas exister sans apports extérieurs, sans influences extérieures. On n’est pas dans la logique du métissage culturelle, on est dans la logique de la création d’une culture nouvelle, à partir de traditions, issue de notre ancrage historique, tout ce qu’on voudra. Mais en même temps, on est, quelque part, francophile. Donc il faut trouver le point de jonction entre les deux pour faire quelque chose qui soit différent. Et c’est ça qui peut-être a manqué chez lui.

Mais Gérard Lockel n’a pas été le seul à proposer une modernisation du gwoka – c’est à dire une transformation de sa pratique et de son esthétique à travers l’ajout de nouveaux instruments – dans les années 1960. Pendant que Lockel formulait son gwoka modènn, Guy Konkèt enregistrait des morceaux en compagnie de musiciens de biguine. Au début des années 1980, alors qu’il vivait en France hexagonale, le chanteur transforma une nouvelle fois sa musique, enrichie à la fois des derniers développements en Guadeloupe et du bain musical cosmopolite de la capitale française. Ce sont ces deux moments de synthèse – qui nous donnent à entendre ce que j’appelle deux moments de créolisation – que je propose d’explorer ici.

 

Le Gwoka comme auralité créole, premier moment : Guadeloupe

La ligne nationaliste dure proposée par Gérard Lockel dans son article sur les trois cultures publié dans Ja Ka Ta n’admettait aucun syncrétisme. Au contraire, elle établit des lignes de démarcation claires entre les différentes musiques traditionnelles et populaires de Guadeloupe : selon cette idéologie, gwoka et biguine existent dans des sphères socio-culturelles différentes. La biguine, pour Lockel, est le produit de la culture coloniale. Bien que le guitariste n’explique pas cette caractérisation, on peut envisager trois explications. D’une part, la biguine – bien qu’émanant des couches populaires en Guadeloupe et Martinique – fut amplement récupérée par les pouvoirs coloniaux et de nombreux morceaux de biguine ont charrié l’esthétique doudouiste qui a marqué le colonialisme français aux Antilles. Ensuite, la biguine, dès les années trente, était devenue une musique cosmopolite. Dans sa circulation transatlantique, la biguine s’était enrichie au contact du jazz et des musiques cubaines et brésiliennes en vogue dans l’entre-deux-guerres. On en arrive au troisième point : la biguine est une musique syncrétique, une musique créole par excellence qui donne à entendre non seulement une spécificité antillaise (je ne veux pas rentrer ici dans les débats sur la différence entre les biguines guadeloupéennes et martiniquaises) mais aussi la francophilie dont parle Rosan Mounien. Cela rendait déjà la biguine suspecte aux yeux des poètes de la négritude pour qui elle était l’équivalent musical de la figure de la doudou (Hill 2013) et, lorsque Lockel associe la biguine et le « créole bâtard », on peut y lire la même critique. Au syncrétisme de la biguine, Lockel oppose le gwoka, seul représentant selon lui d’une culture guadeloupéenne « pure ».

Si cette idéologie représente une certaine orthodoxie nationaliste, elle ne faisait pas l’unanimité. Dans un article publié dans un numéro spécial des Temps Modernes consacré aux Antilles, l’ethnomusicologue Marie-Céline Lafontaine (1983) propose une alternative au discours nationaliste proposé par Lockel, l’AGEG et autres organisations indépendantistes. L’argument développé par Lafontaine peut se résumer en deux points. D’un point de vue historique, Lafontaine offre une lecture créoliste du développement de la culture en Guadeloupe. Celle-ci, affirme-t-elle, est entièrement importée et résulte d’une dialectique entre une culture dominante européenne et une culture dominée (on pourrait préférer ici l’expression de “culture déterminante” proposée par Glissant) à base africaine. La culture nationale, nous dit Lafontaine, est un consensus qui a émergé autour des habitations à travers la réinterprétation de la culture européenne selon des schémas africains. L’isolation de l’île a permis à cette culture de se développer dans sa spécificité. D’un point de vue ethnographique, Lafontaine intègre les différentes musiques guadeloupéennes au sein du même champ culturel (voir aussi, Lafontaine 1988). En particulier, elle se base sur ses observations ethnographiques pour insister sur le fait que le quadrille, la biguine et le gwoka servaient les mêmes fonctions sociales : dans les campagnes et faubourgs, musiciens et danseurs passaient sans problèmes d’un style à l’autre. Pour Lafontaine, donc, ces différentes musiques sont créolisées à un point tel que leurs origines n’ont guère d’importance aux yeux et oreilles de ceux qui les pratiquent.

La musique de Guy Konkèt au début de sa carrière dans les années 1960 illustre bien ce dernier point. Konkèt a grandi à Jabrun. Fils de Man Soso, une figure centrale dans le milieu musical du nord Basse-Terre, Konkèt a grandi dans dans un bain musical riche. Pendant quelques années, Man Soso était en couple avec Carnot, percussionniste de gwoka et de quadrille de grande renommée. Lors d’un entretien avec Konkèt, celui-ci m’a raconté que, lorsque Carnot et d’autres musiciens venaient rendre visite à Man Soso, il se cachait pour les écouter. Pour sa part, Carnot a témoigné de l’intérêt que Konkèt, enfant, a porté au tambour. Il était alors fréquent que les jours de kyenzènn, chez Man Soso, on danse du quadrille à l’intérieur et le léwòz dehors. Des musiciens de bal venaient régulièrement enrichir ces rencontres musicales (Carnot et Lafontaine 1986).

Couverture de l'ouvrage "Alors ma chère, moi... Propos d'un musicien guadeloupéen recueillis et traduits par Marie-Céline Lafontaine", Carnot par lui-même (Editions Caribéennes, 1986)

Nourri par cette ambiance musicale bouillonnante, Konkèt a commencé sa propre carrière musicale vers la fin des années 1960, après son service militaire. Très vite, il enregistre pour les deux principales maisons de disque en Guadeloupe : Henri Debs et Raymond Célini. Si au départ ses chansons restent fidèles au modèle des chants de veillées (“Jo, mayé dé grenndé-la”[1]), autant par leur forme que par leur sujet, elles se modernisent rapidement. Très vite, Konkèt se fait le chroniqueur de la modernisation de la Guadeloupe, alors prise dans un processus de transformation rapide : la crise de l’économie sucrière de l’après-guerre se combinant avec la construction d’infrastructures, la multiplication du parc automobile et une politique migratoire sponsorisée par le gouvernement français pour alimenter son besoin en main d’œuvre. C’est dans une période de crise que Konkèt entame sa carrière professionnelle et ses chansons en capturent tous les aspects. L’ouverture du lycée de Baimbridge lui inspire “Baimbridge chaud” dont les paroles gentiment ironiques décrivent la jeunesse guadeloupéenne en prise avec la modernité. D’autres morceaux commentent plus directement les troubles en Guadeloupe. Alors que les mouvements sociaux se multiplient, donnant régulièrement lieux à de violentes répressions (comme en Mai 1967), Konkèt chante le malaise social : « Wi mé frè, la Gwadloup malad, o. Nou ké trouvé rimèd, pou nou sové péyi-la mé zanmi o », lance une de ces chansons les plus connues.

"La Guadeloupe malade" (extrait) par Guy Conquette – album Misique à Conquette chaud (Aux Ondes, 1968-69 ?).

Chroniqueur du choc d’une modernisation imposée par l’Etat français, Konkèt participe aussi aux mouvements de contestation qui y répondent. Mounien se souvient :

C’est la grève de 1971 : Guy Konkèt a été arrêté et emprisonné au motif qu’il jouait du gwoka sur un piquet de grève [qui] excitait les grévistes et attirait les non-grévistes pour les empêcher d’aller travailler. C’était ça le motif. Donc à ce moment-là, il a été emprisonné à Basse-Terre et on a monté un collectif d’avocats parce qu’il y avait [une vingtaine de personnes arrêtés]. Il est resté environ deux semaines en prison. [En plus,] parce que les étudiants et les lycéens étaient en grève également pour soutenir la canne, il était allé chanter à Baimbridge. Pour la jeunesse, il était devenu un chanteur très populaire. Du fait qu’il était populaire et qu’il était lié à un mouvement social, il a donc été emprisonné. Et c’est de là que ça a boosté un peu sa carrière : il est devenu en quelque sorte le chanteur de gwoka populaire.

La modernité du gwoka de Guy Konkèt ne se limite pas aux sujets de ses chansons. Elle se fait aussi par la forme. Ainsi, « Lapli ka tonbé » introduit une transformation du système de réponse. Le morceau commence d’une façon traditionnelle, avec une réponse longue : « Lapli-la tonbé, pa ni travay pou nou, la la, lapli-la tonbé ». Vers le milieu du morceau, après un « break » du fameux percussionniste Vélo, les répondè passent à une réponse plus courte – « tandé ! » – accélérant ainsi le rythme de l’échange entre chantè et répondè. Christian Dahomay explique l’importance de cette transformation : « Le système de chanteur-répondeurs s’était cassé. N’importe qui ne fait pas répondè avec Guy, parce qu’il y a des arrangements pour les chœurs. Si tu connais pas, tu peux pas répondre. Il a été l’un des premiers à faire ça ».

"La pli ka tonbé" (extrait) par Guy Conquette – album Vélo. Lékol-la (Aux Ondes, 1968 - H.C.D. Productions, 1999).
Réponse longue puis réponse courte.

A la même époque, autour de 1968, Guy Konkèt enregistre un petit nombre de morceaux dans lesquels des musiciens de biguine, dont le célèbre saxophoniste Emilien Antile, viennent s’ajouter à son groupe de gwoka. Ces enregistrements sont à la fois remarquables et tout à fait banals. Ils sont banals car Konkèt n’était pas le seul a opéré ce genre de rencontre : Dolor Méliot, Robert Loyson et Gaston "Chaben" Germain-Calixte ont tous trois enregistré avec des musiciens de biguine à cette époque, peut-être poussés par les intérêts commerciaux de leurs maisons de disque. Mais ces enregistrements sont remarquables parce qu’ils contredisent les divisions strictes entre les styles musicaux préconisés par une vision orthodoxe d’un nationalisme culturel. Pour Konkèt, l’inclusion de musiciens de biguine dans le gwoka fut avant tout une extension naturelle de l’auralité créole et du bain musical si riche qu’il avait connu dans son enfance à Jabrun. « La musique, c’est la musique », se plaisait-il à répéter lors de nos conversations. Il faut aussi souligner ici que, contrairement au gwoka modènn de Lockel, ces enregistrements sont résolument tonals. Ainsi, « Faya Faya » est construit sur une ligne de basse qui oscille entre tonique et dominante. De même les solos d’Emilien Antile, eux-mêmes une synthèse des phrasés de biguine et du langage du jazz bebop, ne laissent aucune ambiguïté quant au système tonal qui sous-tend cette musique.

"Faya faya maman" (extrait) par Guy Conquette – album Le roi du folklore (Disques Debs, 1969).

J’entends dans ces enregistrements le premier moment de créolisation dans la musique de Guy Konkèt, une synthèse qui documente – loin de la rupture opérée par Lockel – les enchevêtrements musicaux en Guadeloupe à la fin des années 1960. Ces disques s’inscrivent dans une continuité des pratiques d’assimilation, d’appropriation et de détournements nés autour de la plantation. Ils sont le produit de la même auralité créole, de la même confrontation entre culture dominante et culture déterminante, qui avait donné naissance au gwoka, au quadrille et, plus tard, à la biguine.

 

Le gwoka comme auralité créole, deuxième moment : Paris

Les années soixante, soixante-dix, et quatre-vingt sont marquées par l’émigration massive encouragée par le BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer). Instigué par le premier ministre Michel Debré dans le but affiché de combattre la surpopulation dans les DOM, le BUMIDOM a surtout servis à fournir à l’Etat français une main d’œuvre bon marché alors que les français quittaient les postes mal payés de la fonction publique à la recherche de carrières plus lucratives dans le secteur privé et que, suite à l’indépendance de l’Algérie, les immigrés algériens devenaient inéligibles pour les postes de fonctionnaires. Pendant près de vingt ans, le BUMIDOM a donc permis l’émigration de 5000 antillais par an pour remplir les emplois peu qualifiés (et donc peu payés) aux PTT, à la SNCF, dans les aéroports, ou encore dans les hôpitaux (Anselin 1990).

L’Etat français combina une campagne publicitaire vantant que « l’avenir est ailleurs » pour recruter des travailleurs antillais avec une campagne de censure et de répression pour limiter l’impact des critiques de cette politique. Il devint rapidement clair, néanmoins, que la politique migratoire mise en place par Debré ne se souciait guère du bien-être économique des populations antillaises. Dans ce climat, le gwoka joua un rôle important à deux niveaux. D’un côté, il véhicula une critique souvent sévère du BUMIDOM, mettant en garde quiconque serait séduit par les promesses du gouvernement français. « Drogues, vol, prostitution, sé sa ti ni a Pari », met en garde Erick Cosaque dans « A kòz don biyé san fwan ». Mais le gwoka deviendra aussi une musique fédératrice autour de laquelle la communauté guadeloupéenne à Paris pouvait se retrouver et s’affirmer dans l’espace métropolitain. Le gwoka à Paris participe du double mouvement d’échappée (anglais : fleeing) et de domestication (anglais : homing) qui caractérisent les sociétés marquées par le colonialisme et la créolisation selon l’anthropologue Michaeline Crichlow. 

Konkèt lui-même participa de ce mouvement. Au début des années soixante-dix, le chanteur a suivi beaucoup de ses compatriotes vers la France. Il se souvient : « C’est tout le monde pareil. J’étais partis pour aller dans le milieu des Antillais qui ont oublié la Guadeloupe. Et j’ai apporté un message en France et ailleurs aussi. Je suis parti pour ça, quoi ».

Les chansons de Konkèt, comme « Kyembé rèd », véhiculait son message de resistance : « Kyembé rèd, frè. Kyembé rèd surtou pa moli. Kyembé rèd, surtou pa tranblé. Kyembé rèd surtou pa plèrè douvan misyé-la ka kyembé fwèt-la ». Ce message a sans doute alimenté la suspicion des autorités françaises et le chanteur fut victime à Paris du même genre de répression dont il avait fait expérience en Guadeloupe. « Mon premier concert en France, c’est la salle Wagram », se souvient-il.  « Les répètes… Y a eu cinq cars de flics pour évacuer la salle… une bombe dans la salle. C’est pas vrai du tout, hein ? C’est un mensonge. Mais comme moi je suis arrivé comme un révolutionnaire, avec ça, alors tout de suite : C’est un révolutionnaire. Qu’est-ce qu’il est venu faire dans ce pays, quoi ? »

Cette attitude révolutionnaire informe aussi son esthétique musicale à l’époque. Dans les années 80, entouré de jeunes musiciens, le chanteur s’adapte. Déjà en Guadeloupe, il était en contact avec une nouvelle génération de musiciens à la politique plus radicale que la sienne. Parmi eux figurait Joel Nankin qui, avant qu’il ne devienne une des grandes figures des arts plastiques de l’archipel, a contribué à la renaissance des gwoup a po et a introduit le chacha dans le groupe de Konkèt. Konkèt échangeait aussi avec les musiciens du groupe Takouta, un collectif de jeunes percussionnistes qui, selon Michel Halley, désirait reconnecter le gwoka avec une « intensité africaine ». Pour ce faire, dans Takouta, chaque tambour jouait un rythme différent, produisant ainsi une polyrythmie plus complexe que celle du gwoka dit traditionnel. Ces jeunes musiciens gravitaient autour de Jabrun et certain d’entre eux jouèrent avec Konkèt avant son départ pour Paris. Halley, lui, rejoindra Konkèt pour le temps d’un concert dans la capitale française au début des années 80. Suite à ces rencontres, la musique de Konkèt trouva une plus grande diversité rythmique. Ses morceaux enregistrés auparavant sur un rythme de toumblak furent réinterprétés sur d’autres rythmes, dont le léwòz, un rythme souvent associé à une attitude combative en Guadeloupe. C’est le cas, par exemple, du morceau « La Gwadloup malad », réenregistré en live pour l’album Guy Konkèt et le Groupe Ka avec Michel Halley comme invité. 

"La Gwadloup malad" (extrait) par Guy Konkèt et le Groupe Ka  (Éditions Bolibana, 1996).
Interprété sur un rythme de léwòz indestwas.

Mais la transformation musicale de Konkèt ne s’arrêta pas là. Le chanteur embaucha le jeune guitariste Gilbert Coco. Coco faisait partie de cette génération d’instrumentistes qui, inspirée par Lockel, avait décidé d’abandonner les orchestres de bal pour faire du gwoka. Comme Georges Troupé ou Robert Oumaou, Coco ne se tourna pas vers le gwoka modènn de Lockel, préférant forger son propre chemin. Dans le groupe de Konkèt, il contribua à créer un nouveau groove influencé par l’Afrobeat de Fela Kuti et la soul de James Brown, deux musiques emblématiques d’un certain cosmopolitisme noir. On peut entendre ces influences sur les morceaux « YouYou », « Bamileké » et « La tè touné », tous trois sur l’album Guy Konkèt et le Groupe Ka.

"YouYou" (extrait) par Guy Konkèt et le Groupe Ka  (Éditions Bolibana, 1996).

Cette transformation musicale marque ce que je vois comme un deuxième moment de créolisation de la musique de Konkèt. La musique que Konkèt a enregistrée en Guadeloupe illustre ce que Lafontaine a appelé un continuum créole. Ce premier moment de créolisation est une extension directe de l’histoire coloniale des Antilles. Dans son deuxième moment de créolisation, la musique de Konkèt laisse entendre le déplacement des dynamiques coloniales vers la métropole même. Elle révèle aussi les nouveaux syncrétismes entre populations minorisées que les migrations postcoloniales ont favorisées.

 

Conclusion : Créolisation et longue durée coloniale

Pourquoi cela est-il important d’un point de vue théorique ? Les études de la créolisation se heurtent à un problème fondamental : si toutes les cultures sont le produit de syncrétisme, qu’est-ce qui différencie la créolisation dans les colonies européennes d’Amérique ? Quand est-ce que la créolisation commence ? A-t-elle un point d’aboutissement ? Peut-on étendre la créolisation au monde entier – comme l’a fait l’anthropologue Ulf Hannerz (Hannerz 1987) – sans nier la particularité des structures historiques violentes qui ont donné naissance aux sociétés antillaises (Palmié 2007) ? J’ai proposé plus haut que la créolisation marque un processus créatif de syncrétisme culturel rendu nécessaire par le système esclavagiste colonial. La musique de Guy Konkèt suggère que le processus de créolisation ne s’est pas limité au moment initial de la colonisation (voir à ce sujet, Mintz and Price 1992). Dans la mesure où les structures coloniales ont persisté après l’abolition de l’esclavage et qu’elles étendent leurs traces au-delà de la départementalisation, il est possible de montrer que des processus de créolisation propres aux sociétés postcoloniales perdurent. C’est cette auralité créole que Guy Konkèt nous donne à entendre. 

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[1] Dans son livre sur le gwoka et la politique, Marie-Héléna Laumuno propose une lecture politique de « Jo mayé dé grenndé-la ». Selon elle, la chanson est une critique de la fourberie des gérants de propriétés agricoles (Laumuno 2011, 79).

 

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SOMMAIRE
1. Introduction. Le gwoka, un champ aural d'engagements politiques complexes
2. Tambour et auralité coloniale
3. Le gwoka comme auralité anticoloniale
4. Les deux créolisations de Guy Konkèt
5. Jazz et gwoka : Auralité créole ou diasporique ?
6. Le gwoka dans une auralité postnationaliste

Illustrations musicales
Bibliographie
Conférence audio

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par Dr Jérôme Camal

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, juillet 2019