Dossier Laméca
LE PRÉJUGÉ DE COULEUR, UNE HISTOIRE OCCIDENTALE
Cette idéologie semble appartenir au passé, et toute discrimination légale semble avoir disparu. Mais une observation attentive de certaines sociétés où ce préjugé s’est autrefois développé permet de constater, encore aujourd’hui, une corrélation entre les différences de couleur et la disparité des niveaux sociaux et de se rendre compte de surcroît de l’intensité des ressentiments raciaux, ainsi que d’une "hypersensibilité" à la question, d’autant plus pernicieuse qu’elle est largement inavouée…
Il est difficile d’aborder sereinement ce sujet, car le piège racial assigne les analystes à des catégories dont certains pensent qu’elles déterminent leur pensée : comment parler de manière distanciée et critique des phénomènes raciaux, quand on est soi-même racialement situé, à son corps défendant ?
Le présent dossier fait pourtant le pari d’une telle approche, en s’efforçant de saisir ce qui fait l’originalité de la "race" (dont on sait qu’elle ne correspond à aucune réalité biologique, mais que c’est, comme toute figure de l’identité, une construction de nos esprits) dans la structuration des rapports sociaux par les processus identitaires. Catégoriser et situer les individus dans l’échelonnement des prestiges ou des pouvoirs à partir de leur apparence physique ou de leur ascendance n’est pas chose évidente, même si la marque utilisée semble naturelle et s’imposer d’elle-même. Ce qu’on a appelé dans les vieilles colonies "le préjugé de couleur" a pu être qualifié de "bizarrerie" de l’esprit humain, et constitue une énigme historique. Comment-est-t-il apparu ? A quelle fonctionnalité sociale a-t-il pu répondre ? Comment a-t-il évolué ? Quelle peut être encore aujourd’hui son empreinte ?
Cette enquête sera menée à différentes échelles. D’abord à partir des Antilles de colonisation française, où le préjugé a été particulièrement prégnant, et où ces questions peuvent trouver les réponses les plus précises. Mais on élargira également la focale à l’ensemble des sociétés post-esclavagistes, ainsi qu’à la société occidentale tout entière, notamment en ce qui concerne les héritages contemporains. Il va sans dire que les préjugés fondés sur la couleur de la peau et d’autres caractéristiques physiques ont pu exister dans d’autres civilisations, mais, si l’on insiste ici sur le cas occidental, c’est en raison de l’abondance documentaire sur le phénomène, à la fois dans son constat, ses justifications (mais aussi sa contestation !), ainsi que pour la précision de l’analyse.
Pour ceux qui s’intéresseraient au cadre disciplinaire dans lequel s’inscrit ce questionnement : il s’agit ici de marier l’histoire, dans sa dimension narrative apte à rendre compte du passé, avec l’anthropologie, dans sa vocation interprétative et théorique, à même de conjuguer les temps, du passé à sa persistance et à sa transformation dans le présent (1).
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(1) Un certain nombre de développements du dossier sont extraits de l’ouvrage de Jean-Luc Bonniol, La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des "Blancs" et des "Noirs", Paris, Albin Michel, 1992.
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SOMMAIRE
Pourquoi s’intéresser au préjugé de couleur ?
1. La notion de "race"
2. Genèse et institution du préjugé dans les Antilles de colonisation française
3. Couleur, société et population : la mise en évidence d'un processus de "racisation"
4. Justifications et contestations du préjugé de couleur
5. Variantes du racisme anti-noir
6. Déclin et avatars contemporains du préjugé
En guise de conclusion
Documents d'illustration
Bibliographie générale
Conférence audio
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par Jean-Luc Bonniol
© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2015-2020