3-Currulao, la danse de marimba (côte Pacifique)

Dossier Laméca

Musique afro-colombienne

3. CURRULAO, LA DANSE DE MARIMBA (CÔTE PACIFIQUE)

 

Bombo et cununo, orchestre de tambours

Les instruments des musiques traditionnelles du Pacifique Sud sont pour la plupart très spécifiques à la région. Le bombo est un tambour basse bi-membranophone de type grosse-caisse. Sa face percutée est faite d'une peau de daim. La face opposée, faite d'une peau de sanglier, sert plutôt de résonateur. Le bombero (joueur de bombo) percute la peau de daim à l'aide d'un maillet, et frappe sur le fût en bois du tambour avec une baguette. Un groupe de marimba peut compter un ou deux bombos. Le plus gros, appelé bombo golpeador ("le tambour qui frappe"), marque les temps de chaque cycle rythmique, mais reste libre d'improviser et d'alterner les motifs rythmiques. Plus petit, le bombo arrullador ("tambour berceuse") a lui un rôle plus limité. Il joue en général un schéma rythmique fixe qui cependant peut être ornementé de variations.

Bombo et cununo (fleuve Yurumanguí, 2006).
Photo : Michael Birenbaum Quintero

Il y a aussi deux tambours que l'on joue avec les mains, appelés cununos. Ils ressemblent à de petites congas avec une forme plus conique. La peau de daim est tendue par un système de cales et de cordes enlacées d'un bout à l'autre du fût, procédé courant sur de nombreux tambours du Cameroun et du sud du Nigeria. L'extrémité ouverte du cununo est bouchée avec un disque en bois, qui contribue à donner au tambour son timbre particulier. L'orchestre de cununos comprend le cununo macho (cununo mâle), plus grand, et le cununo hembra (cununo femelle), plus petit. Le premier joue habituellement le rythme de base, tandis que le second avec sa sonorité plus aiguë, enchaine variations et improvisations, bien qu'ils puissent échanger les rôles.

Cantadoras, chanteuses chefs d’orchestre de la musique religieuse

Les chanteuses matrones, appelées cantadoras, sont les éléments fondamentaux du groupe de marimba. Elles répètent un refrain en harmonie, tandis qu’une autre cantadora entonne la mélodie sur des paroles improvisées, empruntées en partie à d'autres chansons ou à la poésie populaire, tout en faisant des variations rythmiques et des ornements mélodiques à la manière de la voix de fausset du yodel. Les cantadoras s'accompagnent de la guasá, un hochet fait d'un tube de bambou rempli de graines et transpercé de clous ou d'épines végétales.

Les cantadoras María Juana Angulo (à gauche) et Carlina Andrade (à droite), jouant de la guasá (2005).
Photo : Michael Birenbaum Quintero

Marimba, xylophone chef d’orchestre de la danse profane

Si les cantadoras président la musique religieuse, pour la danse profane currulao, c'est le marimba qui joue ce rôle. Ce xylophone est constitué d’autant de lattes de bois que de résonateurs en bambou, accordés ensemble, soit 14 à 28 notes. Le marimba du Pacifique Sud provient des modèles d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale. Et contrairement au marimba d'Amérique centrale, ses résonateurs ne sont pas couverts d'une membrane produisant un bourdonnement.

Les musiciens et facteurs d’instruments Pacho et Genaro Torres au marimba (fleuve Guapi, 2003).
Photo : Michael Birenbaum Quintero

En général, deux musiciens jouent sur le même marimba. L'un joue dans les basses un thème nommé bordón. Debout à côté de lui, le second musicien joue sur les rangées de notes medium et aiguës un motif complexe appelé tiple ou requinta, ponctué de variations, d’ornements, et de passages improvisés du nom de revueltas (d’un verbe signifiant "remuer" ou "mélanger"). Le joueur de requinta chante également.

Bien jouer du marimba est considéré comme un savoir ésotérique, et on raconte beaucoup d’histoires de musiciens concluant des pactes avec le diable pour maitriser cet art, voire rivalisant avec lui au marimba.

Currulao, danse profane communautaire

Cette musique de marimba est jouée lors d'une manifestation appelée currulao ou "danse de marimba". Cet événement totalement profane réunit les membres d’une communauté chez le marimbero du village, dont les parents sont en général eux aussi musiciens. Là, ils mangent, boivent et dansent sur les divers genres et chants du currulao : bambucopangopatacoréberejúcaderonajuga grande (aussi nommée agua larga ou agua grande), carambatorbellinotoleromaroma, amanecer, tiguarandó et amadore, etc., dont chacun a des paroles et motifs de marimba propres.

La famille Torres avec Pascual Caicedo (fleuve Guapi , 2003).
Photo : Michael Birenbaum Quintero


Le cycle de la danse

Une fois que le bordonero commence à jouer, les autres musiciens se joignent à lui. Les danseurs et danseuses, d’un maintien droit et élégant, chacun tenant son indispensable mouchoir blanc, entament une danse face à face, les hommes faisant aux femmes des signes gracieux en agitant leur mouchoir. Le chanteur, généralement le joueur de requinta, entame son chant en émettant un long appel sans paroles appelé churreo, auquel les cantadoras se joignent en harmonie. À la fin du churreo, le marimbero entame une longue revuelta improvisée, appuyée par les variations des tambours bombos et cununos. Chaque danseur, attentif à sa partenaire, fait à nouveau tournoyer son mouchoir et, au rythme du cununo, tape des pieds nus sur le plancher de bois (zapateos) pour attirer l’attention de la belle. Il peut aussi s’approcher d’elle, les bras ouverts comme pour l’enserrer, tandis qu’elle tournoie et recule ; si c’est elle qui s’approche, il fera de même.

"Currulao" par le Grupo Los Bogas del Pacífico (Teatro Colón, Bogotá, vers 1982)

Le cycle du churreo et de la revuelta est répété plusieurs fois. Puis commence une seconde section musicale, appelée jondeo (provenant du verbe hundir, couler ou devenir plus profond), plus intense et plus dense, avec des improvisations et des variations instrumentales plus longues. Trois lignes vocales distinctes émergent et s’entrecroisent : le chanteur (glosador) entonne de longues phrases improvisées ; la cantadora principale improvise une ligne distincte, contrepoint rythmique et harmonique complexe entre les lignes vocales du glosador ou s’appuyant sur elles ; et les autres cantadoras, appelées respondedoras (celles qui répondent) ou bajoneras (mot apparenté à baja, basse, pour se référer à leurs voix harmonisées qui peuvent s'appesantir sur une note une octave plus bas que celle de la soliste) répètent une strophe harmonisée tel un ostinato.

Les danseurs changent de pas, progressant en cercle face à face, assez proches pour être en contact mais sans se toucher, et ponctuant leur danse de pirouettes, de zapateos et de tournoiements expressifs de leur mouchoir. Le morceau est suivi d’un autre, puis d’un autre et ainsi de suite; un currulao dure jusqu’à l’aube, et souvent trois jours d’affilée, voire davantage.

“Adios Guapi” par le Grupo Naidy

Grille descriptive de l'exemple musical 07 – “Adios Guapi”). Schéma adapté de Tascón (2008)

 

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SOMMAIRE
1. La Colombie Noire
2. Le Pacifique Sud
3. Currulao, la danse du marimba
4. Arrullo, une berçeuse pour les Saints
5. Alabados et Chigualo, musique pour les morts
6. Modernités du Pacifique noir
Illustrations musicales
Sources

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par Dr Michael Birenbaum Quintero

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2017