Dossier Laméca

Rumba de Cuba

3. LA PERCUSSION

 

Apport des rythmes et cultes afro-cubains

Le langage rythmique de la rumba superpose, sur une base yuka Congo, un large vocabulaire provenant des Yoruba, des Arara, des Abakuá, et d'autres traditions rythmiques cubaines, le tout dans un contexte festif de rue.

Certains aspects des religions afro-cubaines entrent également en jeu. Aujourd'hui, presque tous les rumberos pratiquent la religion Yoruba (aussi appelée santería, Lucumí ou Regla de Ocha). La rumba est donc imprégnée de sa gestuelle, sa danse, ses rythmes et sa parole. Il n'est d’ailleurs pas rare de voir des groupes de rumba jouer des batá, les tambours sacrés de la religion Yoruba.

Une rumba jouée avec des tambours batá et des congas par le groupe Clave y Guaguanco (La Havane, 2005).
© Gustav Michaux-Vignes

Aussi, dés le début, les rumberos sont associés aux Abakuá, localisés comme la rumba à La Havane et à Matanzas.

Enfin, le gros de la percussion et de la danse rumba est d’origine Congo. D’ailleurs, de nombreux rumberos pratiquent le palo, la religion Congo à Cuba.

Les instruments de la rumba ou l’art de la récupération

Les instruments de la rumba sont traditionnellement issus de la famille des percussions. Ce qui n’empêche pas des orchestrations modernes augmentées d’instruments mélodiques.

Cependant, sa forme instrumentale la plus élémentaire s’appuie sur les objets les plus courants et les plus ordinaires qui soient : un tiroir en bois ôté de son meuble sur lequel on joue avec des cuillères, le plateau d’une table, une bouteille, deux bouts de bois, ou encore les murs d’une maison. Ces instruments, prêts à l’emploi, ne sont pas choisis au hasard. La grande variété de timbres et de tonalités qu’ils peuvent produire répond à des principes orchestraux africains profonds, chacun remplissant une fonction rythmique clairement définie.

 

« Nadie se escapa de la clave » (« Personne n'échappe à la clave »)

Les claves (deux bouts de bois entrechoqués qui produisent un son vif) sont jouées en général par le chanteur lead. Le rythme joué s’appelle également la clave (se prononce clavé). Il s’agit d’une clé rythmique qui dicte aux instrumentistes comment jouer les uns par rapport aux autres, afin de maintenir une polyrythmie cohérente.

Les claves jouant la clave.
© Gustav Michaux-Vignes

Le rythme de la clave de rumba.
Wikimedia

La clave de rumba.

 

Catá

Le rythme de la clave se verrouille sur celui du guagua, appelé aussi catá. Ce dernier est constitué d’un bout de bambou monté sur pied et sur lequel on frappe à l’aide d’une paire de baguettes. Le son sec et vif produit rappelle celui de la clave mais dans une autre tonalité. Le catá proviendrait de la tumba francesa de l'Oriente cubain, elle-même originaire d’Haïti.

 

Le cajón, premier instrument à part entière de la rumba

Les caisses conçues pour conditionner et expédier la morue salée étaient particulièrement appréciées des percussionnistes, notamment pour leur qualité sonore. Pour les transformer en cajón, elles étaient démontées puis remontées afin d’en joindre plus étroitement les parties comme pour un tambour. Ensuite, y était ajouté un dispositif d’enrichissement du timbre sonore, similaire au filet de la caisse claire.

De la même manière, le cajón de petite taille (appelé quinto comme pour la conga) était lui fabriqué à partir d’une boîte plus petite, servant à conditionner les bougies.

Marino “Fatty” Marquez, facteur des meilleurs cajónes de la ville de Matanzas. Ici dans son atelier, assis sur un de ses cajónes.
© Kenneth Schweitzer

 

Hochets

Dans la rumba, il est courant d’utiliser une maruga (hochet métallique) ou un shekere (hochet fait d’une courge couverte d’un filet de perles) qui joue tous les quatre temps.

Le groupe de rumba Los Muñequitos de Matanzas (Cárdenas, 1990).
De gauche à droite : Agustín Díaz (au tambour seis por ocho ou salidor), Gregorio Díaz “Goyo” (1929-1996) (tumbadora), Jesús Alfonso (1948-2009) (tambour quinto), Diosdado Ramos (guagua).
Notez les marugas aux poignets de “Goyo” et de Jesús Alfonso.
© Ned Sublette

Des marugas sont parfois fixées aux poignets du percussionniste enrichissant ainsi le timbre sonore de son jeu, autre héritage de la musique africaine.

Différents modèles de shekere, ici posés sur des tumbadoras (quinto, salidor et tumbadora)
© Gustav Michaux-Vignes

 

Contourner l’interdiction du tambour

En utilisant ces instruments, les musiciens contournaient les nombreuses interdictions qui pesaient sur les percussions africaines. Après tout, il ne s’agissait que de boîtes et autres ustensiles de cuisine !

Après l’abolition de l’esclavage en 1886, comme Fernando Ortiz l’écrit, "une répression violente et aveugle s’est abattue sur toutes formes de survivances africaines à Cuba, y compris les esthétiques culturelles qui étaient déjà profondément enracinées dans les expressions populaires" (1).

 

Un orchestre de tumbadoras (congas)

De nos jours, l'orchestre de rumba comprend trois tumbadoras de diamètres différents, en écho à la mula, la caja et le cachimbo du baile yuka Congo. Mais en fait, cette configuration à trois tambours se décompose en 2 + 1, puisque le tumbao (la figure rythmique répétitive) est partagé par deux des tambours : la tumbadora (le plus grave des trois) et le salidor (le tambour medium, appelé aussi seis por ocho).

Ce dispositif où le rythme est porté par deux tambours, avec un troisième, le quinto, qui se charge de "parler", est un concept fondamental dans la percussion d’Afrique de l'Ouest et Centrale.

 

Fabrication des tumbadoras

Les rumberos jouaient sur des barils fabriqués par des tonneliers noirs qui maîtrisaient les techniques de modelage et de pliage du bois, nécessaires pour donner sa forme au tambour. Ils ont probablement commencé par utiliser des fûts (de vin ou de saindoux, les préférés) qui étaient démontés pour être remontés dans la forme et le volume souhaités. La peau tendue à l’une des extrémités de la caisse de résonance ainsi obtenue, provenait d’un bœuf, d’une mule ou d’un agneau mort-né.

 

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(1) Ortiz, Fernando. Los instrumentos de la música afrocubana, v.2, p. 62. Publicaciones de la Dirección de Cultura del Ministerio de Educación, Havana, 1952. Reprinted by Editora Música Mundad Maqueda D.L., Madrid, 1996.

 

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SOMMAIRE
1. Combat fraternel
2. Columbia, Yambú, Guaguancó : les trois styles principaux de la rumba
3. La percussion
4. Racines : baile yuka, negros curros et ñañigos, coros de clave
5. Chano Pozo et au-delà

Illustrations musicales
Sources

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par Ned Sublette

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2013