Dossier Laméca
LA BIGUINE À PARIS
5. L’OCCUPATION ET LE JAZZ (1940-1944)
Le 2 septembre 1939, avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale, la mobilisation générale est décrétée pour les musiciens comme pour les autres. Huit mois plus tard, les Allemands envahissent la France. La capitulation du 22 juin 1940 marque le début des années sombres de l’occupation nazie.
Beaucoup de musiciens passeront une partie ou la totalité de cette période dans des camps de prisonniers. Les autres se retrouvent à Paris sans travail car le couvre-feu est décrété et plus personne ne veut engager de musiciens de couleur.
Félix Valvert rassemble alors tous les musiciens antillais volontaires et décide de quitter Paris. Cet orchestre, dans lequel Albert Lirvat débute au trombone, fera une première tournée écourtée à Dijon en février 1942 puis une seconde sur la côte méditerranéenne de mai à septembre 1942 (photo ci-après). Le contrat ayant été rompu avant sa fin, l’orchestre se disperse et les musiciens remontent à Paris.
Swing franco-antillais à la Cigale
En juin 1942, Fredy Jumbo, batteur originaire du Cameroun, ancienne colonie allemande, obtient l’autorisation de présenter un orchestre noir à la brasserie de la Cigale, boulevard de Rochechouart à Paris. Celui-ci comprend d’abord Sylvio Siobud et Robert Mavounzy aux saxophones, et le Guyanais Henri Godissard à la contrebasse. Ils sont rejoints à la fin de l’année 1942 par Albert Lirvat à la guitare et Claude Martial au piano. L’heure n’est plus à la biguine mais au Jazz, goûté par de nombreux parisiens dès avant la guerre. La plupart des Américains ayant quitté la France, les Antillais prennent la relève.
La Cigale devient le rendez-vous des amateurs de "Swing" et de tous les musiciens de Paris, antillais ou non, qui viennent y faire le bœuf. Un pianiste professeur de jazz nommé Charles-Henry prend le groupe en mains et négocie un contrat d’enregistrement avec la firme Polydor. Les disques auront de suite un très gros succès. Aujourd’hui encore, ils témoignent du talent des deux saxophonistes guadeloupéens Mavounzy et Siobud au jeu respectivement inspiré des américains Benny Carter et Coleman Hawkins.
"Swing 42" (1942) par l'orchestre Fredy Jumbo de la Cigale, Robert Mavounzy (clarinette), Sylvio Siobud (saxo ténor) (extrait).
Suivant l’exemple de La Cigale, l’Élysée-Montmartre, music-hall situé sur le même boulevard, présentera aussi en 1944, sous la direction du chef d’orchestre belge Al Verdes, un orchestre de musiciens antillais où chantera la jeune Moune de Rivel.
Concerts de jazz du Hot Club de France
Le Jazz, sous le nom de Swing, devient en France sous l’Occupation un véritable phénomène de société assimilable à une forme de résistance culturelle vis à vis de l’Allemand. Ce mouvement musical bénéficia du rôle déterminant de Charles Delaunay au sein du Hot Club de France, lequel avait déjà contribué au succès de Django Reinhardt dans les années trente. Le HCF organise à Paris, en 1942 et 1943, plusieurs concerts de jazz à la Salle Pleyel ou à l’École Normale de Musique. Y participent tous les jazzmen français de l’époque comme Hubert Rostaing, Alix Combelle et bien d’autres… et parmi eux les musiciens coloniaux. Tout au long de l’année 1943, les musiciens antillais vont aussi marquer de leur présence de nombreuses séances d’enregistrement pour la marque SWING, créée par Charles Delaunay.
Les disques les plus intéressants sont sans nul doute ceux réalisés sous la direction du trompettiste Harry Cooper, l’un des rares américains à avoir pu rester en France car il avait épousé une Alsacienne. On y remarque en particulier les brillants chorus de Robert Mavounzy dans la section de saxophones qui comprenait également Siobud, Valvert et l’excellent Chico Cristobal, émule cubain de Mavounzy.
Un club artistique et musical des coloniaux
C’est en voyant les difficultés rencontrées par les musiciens de couleur pour exercer leur profession que le trompettiste Abel Beauregard a l’idée de fonder une association pour leur apporter le soutien et la logistique nécessaires. Il en fut le premier et l’unique président. Bien que créé en 1943, le "Hot Club Colonial" ne fut publié au Journal Officiel que le 26 octobre 1945. Son objet, annoncé à l'article II des statuts, était de "resserrer les liens de camaraderie et de solidarité entre les adhérents, de leur apporter l'aide morale dont ils ont besoin, de faciliter leur perfectionnement dans leur art respectif et de défendre leurs intérêts professionnels".
Tous les musiciens antillais en firent partie ou presque. Le premier concert de jazz du Hot Club Colonial eut lieu à la Salle Pleyel le 19 décembre 1943 avec un grand orchestre dirigé par Félix Valvert et une moyenne formation dirigée par Mavounzy. Trois semaines après, les musiciens se retrouvèrent dans les studios Polydor pour graver quatre faces de 78 tours qui témoignent du haut degré de professionnalisme des musiciens antillais de cette époque.
Le Hot Club Colonial participa aussi durant l’Occupation à plusieurs concerts de solidarité en province pour les prisonniers de guerre.
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SOMMAIRE
1. Les précurseurs (avant 1929)
2. Stellio et l'exposition coloniale (1929-1931)
3. L'âge d'or de la biguine (1931-1939)
4. Paris, melting-pot musical caribéen
5. L'occupation et le jazz (1940-1944)
6. Le nouvel essor de la biguine (après 1944)
7. Evolution et modernisation d'un style
8. Figures musicales de la Guadeloupe
9. Figures musicales de la Martinique
10. La biguine et le disque 78 tours
11. Bibliographie - Discographie
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Par Jean-Pierre Meunier
Iconographie : collection J-P Meunier
© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2005