Dossier Laméca
1802
La rébellion en Guadeloupe
REFERENCES
TEXTES HISTORIQUES
- Décret de la Convention nationale portant abolition de l'esclavage, 16 Pluviôse An II (4 février 1794)
- Déclaration des commissaires de la Convention accompagnant le décret d'abolition (1794)
- Proclamation de Victor Hugues, 18 juin 1794
- Proclamation de Pélage, 24 octobre 1801
- Proclamation de Richepance le 7 mai 1802
- Proclamation de Delgrès, 10 mai 1802
- Proclamation de Richepance et Lescallier, 28 mai 1802
- Arrêté de Richepance, 2 juin 1802
- Arrêté de Richepance, 17 juillet 1802
- Arrêté de Lescallier, 9 septembre 1802
Décret du 16 Pluviôse An II (4 février 1794)
"La Convention déclare aboli l'esclavage des nègres dans toutes les colonies : en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleurs, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution. Renvoie au Comité de Salut Public pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour l'exécution du décret."
Déclaration des commissaires de la Convention du décret d'abolition (1794)
Déclaration accompagnant l'affichage à Pointe-à-Pitre du décret d'abolition.
Citoyens,
Un gouvernement républicain ne supporte ni chaîne ni esclavage ; aussi la Convention vient-elle de solennellement décréter la liberté des nègres, et de confier le mode de cette loi aux commissaires qu'elle a délégués dans les colonies. Il doit donc résulter de cette rémunération naturelle et de son organisation civile : 1° la bienfaisante égalité, sans laquelle la machine politique est comme une horloge dont le balancier perd son équilibre et son action perpétuelle ; 2° une administration générale et particulière qui garantisse la propriété déjà formée des uns, et le produit du travail et de l'industrie des autres.
Citoyens de toutes couleurs, votre félicité dépend de cette loi et de son exécution ; les délégués de la nation vous garantissent un mode qui sera la sauvegarde de tous les amis de la république française contre ceux qui déjà en ont été et qui voudraient encore en être les oppresseurs ; mais il faut que les citoyens blancs offrent cordialement, fraternellement, et à salaire compétent, du travail à leurs frères noirs et de couleur, et il faut aussi que ces derniers apprennent et n'oublient jamais que ceux qui n'ont pas de propriétés sont obligés de pourvoir, par le travail, à leur subsistance, celle de leur famille, et concourir, en outre, par ce moyen, au soutien de la patrie.
Citoyens, vous n'êtes devenus égaux que pour jouir du bonheur et le faire partager à tous les autres ; celui qui est l'oppresseur de son concitoyen est un monstre qui doit aussitôt être banni de la terre sociale.
(in Lacour, 1858, tome 2, pp 90-91)
Proclamation de Victor Hugues, 18 juin 1794
15 jours après l'arrivée de Victor Hugues en Guadeloupe.
La République, en reconnaissant les droits que vous teniez de la nature, n'a pas entendu vous soustraire à l'obligation de vous procurer de quoi vivre par le travail.
Celui qui ne travaille pas ne mérite que du mépris, et ne doit pas jouir des bienfaits de notre régénération ; car l'on doit présumer avec raison que le paresseux n'existe qu'en commettant des brigandages.
Tous les citoyens ne pouvant pas être employés à la défense de la colonie, il est indispensable que ceux qui ne sont pas incorporés dans la force armée s'occupent à cultiver la terre et à planter des vivres le plus promptement possible.
D'ailleurs, citoyens, celui qui sacrifie ses peines et ses sueurs pour procurer des subsistances à ses concitoyens mérite autant que celui qui se sacrifie pour les défendre.
En conséquence, citoyens, nous invitons et requérons ceux de vous qui ne sont pas incorporés dans la force armée d'avoir à se rendre sur les habitations où ils demeuraient ci-devant, pour y travailler sans relâche à planter des patates, ignames, malangas et autres racines nourrissantes, leur promettant sûreté et protection, et de les faire payer de leurs travaux.
Mais si, contre notre attente, quelques-uns de vous refusaient de se rendre à notre invitation, nous leur déclarons, au nom de la république française, qu'ils seront considérés comme traîtres à la patrie, et livrés à la rigueur des lois.
Enjoignons aux municipalités de requérir la force armée, pour disperser les attroupements et faire rentrer les citoyens noirs dans leurs habitations respectives, pour y planter des vivres.
(in Lacour, 1858, tome 2, pp 380-381)
Proclamation de Pélage, 24 octobre 1801
Le lendemain de la mise en détention de Lacrosse.
Citoyens,
C'est en vain que je m'étais flatté de parvenir, par des voies de conciliation, à rétablir la tranquillité dans la colonie ; c'est en vain que j'ai pris toutes sortes de mesures pour que le Capitaine-général fût reçu ce matin au Port-de-la-Liberté avec la soumission due à son caractère ; sa présence a réveillé dans le cœur des militaires un mécontentement malheureusement trop fondé : mon autorité n'a pu le soustraire à un sort qu'il ne doit imputer qu'à lui seul.
Citoyens, le contre-amiral Lacrosse est détenu au fort de la Victoire : cette mesure a été commandée par la circonstance la plus critique : le salut public l'a rendue indispensable.
Chargé du commandement en chef par la confiance dont m'a investi la force armée, j'ai nommé les commissaires provisoires désignés dans l'assemblée du 21 octobre pour administrer la partie civile, jusqu'à ce qu'il me soit possible de consulter le vœu de toutes les communes de la colonie. Je les ai autorisés à appeler auprès d'eux les citoyens dont les lumières et la sagesse peuvent les seconder dans leurs travaux.
Le temps ne me permet pas de m'étendre davantage ; mais, Citoyens, comptez sur les dispositions que je vous ai garanties dans ma première proclamation.
Je recommande de nouveau à toutes les autorités civiles et militaires de rester à leur poste, et de contribuer de tous leurs moyens au maintien de l'ordre public.
Que les habitants des campagnes n'abandonnent point les travaux de la culture, et qu'ils maintiennent les ateliers avec la plus exacte surveillance.
Enfin, que tous les citoyens coopèrent à seconder mes vues, et la colonie est sauvée.
Vive la République ! Vive le Gouvernement consulaire, auquel nous serons constamment fidèles !
(in Lacour, 1858, tome 3, pp 151-152)
Proclamation de Richepance, 7 mai 1802
Le lendemain de l'arrivée de Richepance en Guadeloupe.
Richepance, général en chef de l'armée de la Guadeloupe, aux habitants de cette colonie.
Citoyens,
Je viens vous annoncer que la révolution française a reçu enfin son dernier degré de puissance et de stabilité. La paix définitive vient de réconcilier tous les peuples de l'Europe ; et vous verrez, par les articles de ce pacte solennel, combien la gloire et les intérêts de la mère patrie ont été stipulés avantageusement.
Sachez encore, par mon organe, que le Gouvernement qui m'envoie, guidé par une sagesse profonde, a presque mûri dans deux ans l'œuvre de la félicité publique ; que son pouvoir est inébranlable, parce qu'il réside dans une confiance justifiée, dans la volonté des bons citoyens, dans l'affection, dans l'énergie des armées ; qu'il est respecté par tous les cabinets des rois et béni de tous les enfants de la République.
Ces guerriers que j'amène parmi vous, sont une partie de ces héros, sur les victoires et l'affection desquels s'est élevé, le dix-huit brumaire, le nouvel édifice constitutionnel : allez, leur a dit le gouvernement français, mettre le comble à votre gloire, en triomphant de la dernière résistance qu'éprouve l'autorité dans des contrées éloignées ! Là, il existe moins des ennemis à combattre que des erreurs à faire cesser : votre présence les dissipera. Les habitants de la Guadeloupe ont aussi payé leur tribut de courage, en empêchant l'envahissement de leur territoire. Il est dans la profession des armes une heureuse sympathie, qui unit par les liens de l'honneur tous les défenseurs de la patrie ! Ils voudront être les associés de votre réputation: ils verront en vous des frères ; et bientôt les anciens nœuds, qui les attachaient au centre commun, seront de nouveau resserrés.
C'est un devoir à moi, citoyens, de réaliser cette espérance; c'est aussi le vœu de mon cœur. Ces braves soldats, qui tant de fois ont affronté la mort dans les combats contre les ennemis de la France, ne seront ici que les protecteurs de vos foyers, des modèles des vertus guerrières, des Français comme vous. Les actes d'autorité de leur chef seront autant de garants de votre félicité ; vous en devancerez les effets, par un retour volontaire au bon ordre, par une entière soumission au Gouvernement que je représente, par l'oubli de toutes les haines ! Mais si le grand ministère que je viens remplir parmi vous laissait quelques esprits à persuader, et qu'il fût encore des insensés capables de vouloir, comme par le passé, méconnaître le pouvoir légitime, sur leur tête aussitôt éclaterait la vengeance nationale, si longtemps contenue : la mort et la honte deviendraient leur partage.
(in Lacour, 1858, tome 3, pp 245-246)
Proclamation de Delgrès, 10 mai 1802
Proclamation affichée à Basse-Terre le 10 mai 1802 (rédigée par Monnereau, signée par Delgrès).
À L'UNIVERS ENTIER.
LE DERNIER CRI DE L'INNOCENCE ET DU DÉSESPOIR.
C'est dans les plus beaux jours d'un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie, qu'une classe d'infortunés qu'on veut anéantir se voit obligé d'élever sa voix vers la postérité, pour lui faire connaître, lorsqu'elle aura disparu, son innocence et ses malheurs. Victime de quelques individus altérés de sang, qui ont osé tromper le Gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèle à la patrie, se voit enveloppée dans une proscription méditée par l'auteur de tous ses maux.
Le général Richepance, dont nous ne connaissons pas l'étendue des pouvoirs, puisqu'il ne s'annonce que comme général d'armée, ne nous a encore fait connaître son arrivée que par une proclamation, dont les expressions sont si bien mesurées, que, lors même qu'il promet protection, il pourrait nous donner la mort, sans s'écarter des termes dont il se sert. A ce style, nous avons reconnu l'influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle… Oui, nous aimons à croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide, qui sait employer également les poignards et la calomnie.
Quels sont les coups d'autorité dont on nous menace ? Veut-on diriger contre nous les baïonnettes de ces braves militaires, dont nous aimions à calculer le moment de l'arrivée, et qui naguère ne les dirigeaient que contre les ennemis de la République ? Ah ! plutôt, si nous en croyons les coups d'autorité déjà frappés au Port-de-la-Liberté, le système d'une mort lente dans les cachots continue à être suivi. Eh bien ! nous choisissons de mourir plus promptement.
Osons le dire, les maximes de la tyrannie la plus atroce sont surpassées aujourd'hui. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d'affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de l'autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d'hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l'esclavage.
Et vous, Premier Consul de la République, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut-il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d'où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence ; mais il ne sera plus temps, et des pervers auront déjà profité des calomnies qu'ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.
Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l'épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace, - à moins qu'on ne veuille vous faire un crime de n'avoir pas dirigé vos armes contre nous, - vous avez entendu les motifs qui ont excité notre indignation. La résistance à l'oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l'humanité : nous ne la souillerons pas par l'ombre même du crime. Oui, nous sommes résolus à nous tenir sur une juste défensive ; mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs. Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés, et d'employer tous nos moyens à les faire respecter par tous.
Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits.
Le commandant de la Basse-Terre,
L. Delgrès.
(in Lacour, 1858, tome 3, pp 253-255)
Proclamation de Richepance et Lescallier, 28 mai 1802
Le jour de l'assaut sur Matouba.
Depuis longtemps, citoyens, nous avions prévu les suites funestes de la désobéissance à l'autorité légitime ; nous n'avons cessé de prémunir les esprits égarés, par quelques ambitieux sans raison comme sans talents, contre les maux que devait leur causer un système de rébellion et de résistance au Gouvernement.
Les noirs cultivateurs ont attiré plus particulièrement notre sollicitude, par la facilité qu'ont les agitateurs, dans leur moins d'instruction et leur plus grande simplicité, à les tromper et à les entraîner avec eux à une perte certaine.
Comment pourraient-ils douter de l'intérêt particulier que le Gouvernement prend à eux ? Qu'est-ce qu'une colonie sans culture ? Et n'est-ce pas les bras qui la cultivent qui en font la richesse et la prospérité ? N'est-ce pas l'agriculture qui est le fondement de toute société ; et les agriculteurs ne sont-ils pas partout heureux, lorsqu'ils savent l'être, et ne sont-ils pas les premiers à jouir des bienfaits de notre mère commune ?
Nous leur avions fait dire, dès que nous avons paru sur ces parages, qu'il ne se laissent point égarer par de fausses insinuations et par des mensonges perfides ; que ceux qui leur donnaient de mauvais conseils étaient leurs ennemis encore plus que les nôtres. Eh ! quand ces brigands incendient une habitation, ne détruisent-ils pas essentiellement tous les moyens d'existence, de subsistance et de prospérité des cultivateurs, eux-mêmes, réduits, dès ce moment, à jouer le rôle de bêtes fauves et à périr misérablement.
Nous avons prédit tout ce qui est arrivé. C'est en gémissant que nous voyons, dans les succès complets, de l'armée, un nombre de victimes qui auraient pu, en suivant nos salutaires avis, jouir d'une existence heureuse sur leurs habitations respectives, en se conservant à la société, à leurs femmes et à leurs enfants.
Le général en chef, au milieu de ses succès, n'a pas perdu un instant de vue la bienfaisance et l'esprit de modération. Le moment même où le fort Saint-Charles et le camp de Dolé ont succombé, il a encore présenté le pardon et l'espoir de rentrer dans la société aux hommes égarés et séduits. Quoique de nouveaux succès obtenus dans ce voisinage même, et la mort des meneurs principaux de ces bandes révoltées, ôtent plus que jamais tout espoir et toute ressource aux rebelles, le Gouvernement ne variera pas dans le système de bonté qu'il a adopté.
Déjà, à la Basse-Terre, un grand nombre d'hommes des troupes rebelles sont venues se confier à ses offres généreuses de pardon, et ont été accueillis ; un très grand nombre de leurs blessés, que les rebelles avaient abandonnés dans le fort, à la merci du vainqueur, sont soignés et traités avec humanité.
Que ceux qui seront à portée d'entendre ces paroles rentrent donc sans crainte dans leurs habitations; que tous retournent à leurs occupations respectives ; qu'ils réparent les maux qu'ils ont eux-mêmes éprouvés, et qu'ils reconnaissent enfin les bienfaits d'un Gouvernement paternel et conservateur, qui voit à regret ses indignes opposants porter partout, où ils pensent échapper à ses coups, le feu et le pillage.
Les ateliers et les chefs d'ateliers spécialement, peuvent et doivent, pour leur propre intérêt, s'opposer à tout projet d'incendier les propriétés, et arrêter les auteurs de ces criminelles entreprises.
Ceux qui se seront montrés attachés à l'ordre social et au Gouvernement légitime, seront, par nous, récompensés suivant leur mérite ; et nous invitons les agents municipaux, les commissaires du Gouvernement, les propriétaires d'habitations et tous les citoyens, en général, de nous faire connaître les actes de bonne conduite qui mériteront l'attention du Gouvernement.
Le Capitaine-général, Richepance
Le Préfet colonial, Lescallier
(in Lacour, 1858, tome 3, pp 326-328)
Arrêté de Richepance, 2 juin 1802
Le général, commandant en chef l'armée de la Guadeloupe et dépendances, muni de pouvoirs nécessaires, voulant régler les peines que devront subir les rebelles convaincus d'avoir porté les armes contre les troupes françaises et tous ceux qui se sont rendus coupables de vol, d'incendie et d'assassinat,
Arrête :
Article 1er. Les rebelles ou tous autres convaincus de vol, ainsi que ceux arrêtés les armes à la main, sans autre inculpation que celle de les avoir portées, seront condamnés aux galères à perpétuité.
Art. 2. Ceux convaincus d'avoir été chefs de rébellion, ainsi que ceux qui ont provoqué ou exécuté l'incendie des habitations, ou d'avoir commis quelque assassinat, seront condamnés à la peine de mort, qui aura lieu par le supplice de la potence.
Art. 3. Néanmoins, tout jugement portant peine de mort sera soumis au général en chef, qui ordonnera qu'il soit exécuté ou modifié.
(in Lacour, 1858, tome 3, pp 334-335)
Arrêté de Richepance, 17 juillet 1802
Considérant que par l'effet de la révolution et d'une guerre extraordinaire, il s'est introduit dans les noms et les choses de ce pays des abus subversifs de la sûreté et de la prospérité d'une colonie ;
Considérant que les colonies ne sont autre chose que des établissements formés par les Européens qui y ont amené des noirs comme les seuls individus propres à l'exploitation de ces pays; qu'entre ces deux classes fondamentales des colons et de leurs noirs, se sont formés des races de sang-mêlé toujours distinctes des blancs, qui ont formé les établissements ;
Considérants que ceux-ci seuls sont les indigènes de la nation française et doivent en exercer les prérogatives ;
Considérant que les bienfaits accordés par la mère patrie, en atténuant les principes essentiels de ces établissements, n'ont servi qu'à dénaturer tous les éléments de leur existence et à amener progressivement cette conspiration générale qui a éclaté dans cette colonie contre les blancs et les troupes envoyés sous les ordres du général par le Gouvernement consulaire, tandis que les autres colonies, soumises à un régime domestique et paternel, offrent le tableau de l'aisance de toutes les classes d'hommes en contraste avec le vagabondage, la paresse, la misère et tous les maux qui ont accablé cette colonie, et particulièrement les noirs livrés à eux-mêmes ;
De sorte que la justice nationale et l'humanité commandent, autant que la politique, le retour des vrais principes sur lesquels reposent la sécurité et les succès des établissements formés par les Français en cette colonie, en même temps que le gouvernement proscrira avec ardeur les abus et les excès qui s'étaient manifestés anciennement et qui pourrait se remontrer encore.
Art. 1.
Jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, le titre de citoyen français ne sera porté, dans l'étendue de cette colonie et dépendances, que par les blancs. Aucun autre individu ne pourra prendre ce titre ni exercer les fonctions ou emplois qui y sont attachés. Les blancs seuls qui auront été inscrits dans la garde nationale, depuis l'âge de 15 ans jusqu'à 55, auront le droit d'en porter l'uniforme et d'avoir des armes à leur usage.
Ceux des blancs qui n'y seraient pas inscrits ne pourront jouir du même droit, et seront dénoncés en cas de contravention, pour être statué à leur égard ce qu'il appartiendra par le général en chef.
Art. 2.
Tous autres individus que des blancs, qui n'auront pas vendu ou disposé de leurs armes en faveur des citoyens inscrits dans la garde nationale, dans le terme de cinq jours de la publication du présent, seront tenus d'en faire le dépôt; savoir: dans les villes, chez le commandant de la place, et, dans les autres communes, chez les commissaires du Gouvernement, qui en feront, les uns et les autres, l'enregistrement, dont le double sera envoyé au général en chef.
Après ce terme, il sera fait des recherches et visites domiciliaires : et tous ceux qui seraient convaincus d'avoir gardé, soustrait ou recélé des armes, en quelque heu que ce soit, seront traduits par devant la commission militaire, pour être jugés comme complices de rébellion.
Art. 3.
Toutes les fonctions des municipalités sont suspendues et seront concentrées dans les commissaires du gouvernement de chaque commune, sous la surveillance générale du commissaire supérieur.
Art. 4.
Tous les hommes de couleur et noirs qui ne seront pas porteurs d'un acte légal d'affranchissement de tout service particulier, sont obligés, dans les 24 heures pour les villes, et dans les 5 jours pour les bourgs et campagnes, de sortir des communes où ils peuvent se trouver, pour retourner aux propriétés dont ils dépendaient avant la guerre, excepté ceux qui auront servi honorablement dans l'armée de ligne, et sur le sort desquels le général en chef aura à prononcer, d'après le rapport du commissaire supérieur.
La disposition du présent article est générale et aura son effet nonobstant tous arrêtés, règlements, ordres ou autorisations à ce contraires, si ce n'est le cas de l'article 6e ci-après.
Art. 5.
A cet effet, il leur sera expédié des congés par les commissaires du Gouvernement, qui leur assigneront la voie par laquelle ils se rendront aux dites propriétés, où le général en chef leur accorde grâce, quel que puisse avoir été le motif de leur absence.
Art. 6.
Sont cependant maintenus jusqu'à la fin du bail tous ceux qui ont été loués avec les domaines dits nationaux, et auxquels ils sont censés appartenir jusqu'à résiliation ou fin du bail.
Art. 7.
Tous ceux qui ne se trouveront point rendus sur les propriétés ou au service dont ils dépendent, ainsi qu'il est dit ci-dessus, dans les cinq jours de la publication du présent, seront considérés comme complices de rébellion.
A l'expiration de ce terme, les autorités civiles et militaires en feront faire les perquisitions et poursuites les plus vigoureuses; en cas de résistance ou de fuite, ils pourront être arrêtés morts ou vifs; ceux dont on s'emparera après le délai de grâce, s'ils sont prévenus de quelques actes directs de rébellion, seront traduits à la commission militaire, sinon, seront détenus à la geôle jusqu'à réclamation du maître, appuyée de l'autorisation du commissaire du Gouvernement du heu où ils sont incarcérés, et subiront en y entrant la peine correctionnelle qui sera infligée par ledit commissaire.
Art. 8.
Tous individus dont les propriétés respectives, desquelles ils dépendaient avant la guerre, sont hors de la colonie, seront tenus et sous les mêmes peines prononcés dans l'article 7, de se présenter aussi dans les 24 heures, au commissaire du Gouvernement de la commune où ils peuvent se trouver, pour être remis au dépôt fixé dans la ville Basse-Terre, et être distribués ainsi que le jugera à propos le général en chef, d'après le rapport du commissaire supérieur.
Art. 9.
Tous individus venus depuis la reprise du pays sur les Anglais, et qui seraient porteurs d'un acte légal d'affranchissement, seront tenus de se présenter dans les cinq jours de la publication du présent, au commissaire du Gouvernement, pour se faire délivrer un congé, à l'effet de retourner dans le pays qu'ils habitaient ou partout ailleurs, la paix ayant rendu les communications et les résidences libres, dans toutes les dépendances de la République. Les délinquants seront poursuivis et incarcérés, pour être remis à la disposition du général en chef.
Art. 10.
Ceux qui favoriseraient les contrevenants aux différentes dispositions établies ci-dessus, en leur fournissant un asile ou quelque assistance que ce soit, seront sujets aux mêmes peines qu'eux ; et, si ce sont des blancs, ils seront arrêtés et envoyés sous bonne escorte au général en chef, qui prononcera telle amende qu'il appartiendra et renverra à la commission militaire, s'il y a heu à longue détention, ou à des peines plus fortes, suivant la gravité du délit, surtout s'il y a complicité des brigands, sans préjudice des indemnités en faveur des propriétaires, comme il va être déclaré à l'égard des divagants.
Art. 11.
A l'avenir, tout divagant au-dessus de l'âge de 14 ans sera puni pour la première fois d'un an de chaîne, et de la discipline correctionnelle sur la propriété à laquelle il est attaché; à la seconde fois, il sera puni de 5 ans de chaîne, outre la discipline correctionnelle, et, en cas de récidive, il sera livré à la commission militaire ou au tribunal spécialement établi à cet effet, qui lui appliquera des peines décernées contre les brigands, et les voleurs publics. Dans tous les cas, le divagant qui sera rencontré avec des armes sera jugé d'après ces dernières dispositions.
Art. 12.
Chaque habitant a la police particulière de son habitation, et peut infliger les peines spécifiées dans l'article précédent, ainsi que la punition du cachot, sous la surveillance du commissaire du Gouvernement, qui est tenu de réprimer, d'énoncer et poursuivre, sous sa responsabilité, tous abus et excès qui pourraient être commis de la part d'aucun habitant; cette disposition est spécialement confiée au zèle et à la justice du commissaire supérieur.
Art. 13.
Les maîtres seront tenus de déclarer leurs divagants, dans les 24 heures de leur absence, au commissaire du Gouvernement, qui recevra lesdites déclarations sur un registre particulier; sous peine, contre l'habitant qui négligera de faire sa déclaration, d'être déchu de toute indemnité qui sera acquise au profit du trésor, et même de ses droits sur ledit individu, si ce dernier est arrêté après 10 jours d'absence, sans avoir été déclaré.
Art. 14.
Tout citoyen dans les villes, bourgs et dans la campagne, qui, au mépris du présent arrêté, continuerait à garder, ou à l'avenir se trouverait avoir, travaillant au profit dudit citoyen, sur ses propriétés ou à son service, un ou plusieurs individus qui n'en dépendent point, sans la permission expresse du véritable propriétaire, ou sans la permission du commissaire du Gouvernement de la commune où il réside, qui aurait reconnu son état d'affranchissement, sera réputé recéleur de divagants.
Art. 15.
Tout recéleur ou fauteur de la divagation sera condamné, par le fait même, à payer, dans les 24 heures, à la diligence du commissaire du Gouvernement de la résidence où le fait aura lieu, une amende de 200 gourdes pour chacun des divagants désignés dans l'article 14 ; et, si ce qu'il possède ne peut suffire au payement de l'amende, il sera puni d'un an de détention. L'amende, pour la seconde fois, sera de 400 gourdes par divagant, sans préjudice et en outre d'un an de détention; au cas où il serait insolvable, il sera banni de la colonie pour 10 ans. Enfin, pour la troisième fois, ses biens seront confisqués, et il sera banni à perpétuité.
Dans tous les cas, il sera prélevé, sur lesdites peines pécuniaires, l'indemnité due au maître du divagant, à raison d'une gourde par jour, depuis la date de la déclaration qui en aura été faite au désir de l'article 13.
Art. 16.
Tout individu noir ou de couleur, attaché à quelque propriété, qui sera complice ou fauteur de la divagation, subira les mêmes peines que celles prononcées contre les divagants.
Art. 17.
Tous propriétaires, locataires et autres particuliers dans les villes comme dans les bourgs et campagnes sont tenus, sous les mêmes peines que les recéleurs de divagants, de déclarer, dans les 10 jours de la publication du présent, au commissaire du Gouvernement de leur résidence, tous les noirs nouveaux provenant des prises faites pendant la guerre, et qui ont été mis ou sont parvenus en leur possession, présents ou non, pour en être dressé, par lesdits commissaires, un état nominatif qu'ils adresseront au commissaire supérieur, chargé d'en faire le rapport au général en chef, qui prendra telle mesure qu'il jugera convenable; ledit état fera mention de l'habitation où est placé l'individu dont il s'agit, du propriétaire ou locataire au service de qui il est, et de toutes les circonstances ou observations qui seront déclarées ou connues sur ledit individu.
L'individu de cette classe qui sera trouvé divagant, à moins qu'il ne soit dans l'exception de l'article 6, sera réputé épave, et envoyé de suite au commissaire du Gouvernement à la Basse-Terre, qui le fera mettre au dépôt général de la geôle de ladite ville, en en donnant avis au commissaire supérieur, qui en fera son rapport comme ci-dessus.
Art. 18.
Pour réprimer les abus et infidélités qui existaient dans l'imposition du quart, alloué aux cultivateurs sur les revenus, en y substituant un ordre de choses plus conforme à l'humanité, à dater du 20 thermidor prochain, exclusivement, le payement du quart est aboli. Tous les comptes seront néanmoins réglés et arrêtés jusqu'à cette époque par les commissaires du Gouvernement, qui seront tenus d'en envoyer le tableau, dans le mois, au commissaire supérieur, en faisant mention du payement, pour qu'au contraire, il soit pris par le général en chef telles mesures qu'il appartiendra, excepté pour les habitations qui ont pu être incendiées, en tout ou en partie, dans les derniers événements, lesquelles en sont pleinement déchargées.
A dater du 20 thermidor prochain, inclusivement, le temps du travail des cultivateurs et autres individus attachés aux manufactures sera divisé par semaine: il y aura repos, tous les dimanches. Le général en chef va s'occuper des moyens de rétablir l'exercice du culte dans toute la colonie, conformément à ce qui est établi en France.
A dater de la même époque, les habitants seront obligés de nourrir et vêtir les individus attachés à leurs habitations, savoir :
Pour le vêtement : deux rechanges par an, en toile, au gré des maîtres :
Pour la nourriture, à chacun des individus depuis l'âge de 10 ans et au-dessus, 2 livres de viande ou 3 livres de morue, 2 pots de farine manioque, ou l'équivalent en autres vivres, par chaque semaine, et la moitié des vivres seulement à tous les enfants depuis qu'ils sont sevrés jusqu'à l'âge de 10 ans.
Les habitants seront tenus d'entretenir dans tous les temps une certaine quantité de plantations en vivres, qui ne pourra être au-dessous de 5 carrés par 50 têtes de noirs travaillants.
Ils seront également tenus d'avoir un hôpital particulier où seront soignés, nourris et médicamentés à leurs frais, les malades et infirmes, avec un officier de santé dans les communes où il y en a.
Les dispositions du présent article sont spécialement recommandées à la surveillance et à l'humanité des commissaires du Gouvernement, sous l'inspection particulière du commissaire supérieur.
Art. 19.
Les mesures prescrites par les arrêtés précédents du général en chef sont maintenus en tout ce qui n'est point contraire au présent, qui sera imprimé, lu, publié, enregistré et affiché, partout ou besoin sera.
Ordonne à tous les officiers civils, militaires, tribunaux, notaires, et chacun en ce qui les concerne, d'avoir à s'y conformer.
Fait au quartier général, à la Basse-Terre (Guadeloupe), le 28 messidor de l'an X de la République française.
(in Josette Fallope : Esclaves et citoyens, les noirs à la Guadeloupe au XIXème siècle - Basse-Terre, Société d'Histoire de la Guadeloupe, 1992. pp 563-568)
Arrêté de Lescallier, 9 septembre 1802
Arrêté concernant l'état des personnes de couleur.
Le conseiller d'Etat, préfet de la Guadeloupe et dépendances ;
Vu la nécessité d'établir une police régulière dans cette colonie, agitée depuis nombre d'années par différents événements, auxquels doit succéder l'ordre convenable, conformément aux intentions des consuls de la République ;
Considérant que pendant treize années de révolution, il n'a été suivi aucune des formes qui existaient anciennement pour constater et assurer l'état des personnes libres et leur affranchissement de toute servitude, esclavage ou domesticité ; et qu'il est résulté de cet oubli des règles anciennes une confusion d'individus qui ne sont pas suffisamment connus : à quoi il ne peut être pourvu qu'en partie par un nouveau dénombrement demandé dans toute la colonie ;
Voulant faciliter aux gens honnêtes et bons de cette classe nombreuse et industrieuse, anciennement connue sous le titre de gens de couleur libres, les moyens d'être reconnus et avoués, d'exercer librement et sûrement leurs professions et industries, sous la protection d'un gouvernement juste et bienfaisant, leur éviter d'être confondus avec des hommes, étrangers au sol pour la plupart, qui ont attiré sur eux la vengeance nationale, causé des malheurs à cette colonie et élevé des doutes et des nuages sur plusieurs individus qui méritent d'être distingués par leur moralité et leur bonne conduite,
Arrête ce qui suit :
Article 1er. Tous les individus noirs ou de couleur anciennement libres, soit par leur naissance ou par affranchissement antérieur à l'année 1789, sont tenus de présenter au préfet colonial leurs titres et patentes de liberté et d'affranchissement, ou les preuves de leur état, afin d'être vérifiés et reconnus.
Art. 2. Les individus de couleur ou noirs qui, soit par affranchissement sous seing-privé, soit par des actes des gouvernants, ou autres causes postérieures à l'année 1789, soit pour être venus du dehors, prétendent au même état de gens de couleur libres, sont tenus de se présenter au préfet colonial avec les preuves, les motifs ou les titres qu'ils peuvent faire valoir, pour être examinés en conseil de préfecture et approuvés, s'il y a lieu, et leur état être assuré par une patente régulière signée du préfet.
Art. 3. Ceux qui, dans un délai de trois mois, n'auraient pas rempli cette formalité et prétendraient à la qualité de gens de couleur libres, seront réputés vagabonds et gens sans aveu, et poursuivis comme tels, suivant la rigueur des lois relatives au vagabondage, ou renvoyés à la culture, s'ils y appartiennent.
Art. 4. Il ne sera perçu aucune taxe pour la vérification des titres des gens de couleur libres de naissance, ni pour ceux qui auraient leurs patentes en règle d'affranchissement, antérieures à l'année 1789. Les autres payeront au trésor public, pour l'obtention de leur patente d'affranchissement, une taxe qui ne pourra excéder douze cents francs, argent de France, et que le préfet colonial pourra modérer suivant les circonstances, et pour des motifs de services rendus à la chose publique, après discussion dans le conseil de préfecture.
Art. 5. Ces taxes seront versées au trésor, sur l'ordonnance du chef d'administration, visée du préfet, pour chaque individu, qui, avant d'obtenir sa patente, devra rapporter la quittance du payeur.
(in Lacour, 1858, tome 3, pp 366-368)
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SOMMAIRE
HISTOIRE
21 octobre 1801, les hommes de couleur prennent le pouvoir en Guadeloupe
6 mai 1802, le Général Richepance arrive en Guadeloupe pour y rétablir l'ordre
Baimbridge et Fouillole dans la tourmente révolutionnaire de 1802
Matouba, 28 mai 1802
L'agitation politique en Guadeloupe entre 1794 et 1802
Chronologie
PERSONNAGES
Le combat de Delgrès
Le combat de Richepance
Biographies des principaux protagonistes
ETAT DES LIEUX
Les communes de Guadeloupe
L'agriculture en Guadeloupe en 1799
La population de Guadeloupe en 1796
La politique coloniale de la France à l'époque révolutionnaire
REFERENCES
Textes historiques
Glossaire historique
Textes littéraires
Illustrations audio-vidéo
Bibliographie
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