Dossier Laméca

Anthologie du konpa (top 15)

un guide d'écoute en 15 albums

 

4. COUPÉ CLOUÉ - THE PREACHER (Mini Records, 1978)

"Le prince et le roi prêcheur"

Sa Majesté Coupé  Cloué -qu’on appelle aussi bien volontiers « Le Roi Coupé » - est une des vraies figures emblématiques de la musique populaire d’Haïti. Né Gesner Henri dans la cité de Léogane en 1925, décédé à  Port-au-Prince au début de 1998, ce monarque jovial est un personnage très aimé qui semble avoir vécu plusieurs vies.

Menuisier, footballeur, troubadour, prédicateur : tout lui réussit dans son parcours improvisé. Sa renommée est d’envergure internationale – c’est d’ailleurs l’Afrique qui s’est reconnue en lui et l’a couronné roi- et son héritage vivra longtemps par son propre fils ainsi que par de nombreux émules et imitateurs comme Carlito Coupé, Wanga Nègès, Select de New York, pour ne citer qu’eux.

D’abord footballeur au sein du Hatuey Baccardi, Henri atteint la notoriété dans son rôle de l’implacable défenseur central de l’Aigle Noir, l’équipe phare du quartier pauvre du Bel-Air où il habite. Avec lui, c’est coupé et cloué : la balle passe mais l’attaquant est taclé et plaqué au sol. Mais comme toute bonne fable a sa fin, le 7 septembre 1957, Gesner laisse tomber le ballon rond qu’il troque contre une paire de maracas et un micro. Le troubadour  fonde alors le Trio Sélect dont il est le chanteur, le maestro et, accessoirement, le guitariste. Mais après des succès durables au niveau national comme le mordant Rat-la et la complainte Shada – un classique-, la formation trio s’élargit jusqu’à une bonne dizaine de musiciens, prenant alors la dénomination d’Ensemble Sélect.

L’Ensemble Sélect de Coupé Cloué chante avec un humour croustillant les misères quotidiennes du prolétaire et de l’homme ordinaire. La guitare langoureuse de Bellerive Dorcélien, les baguettes de Ernst Louis et surtout les bongos de René Pétion scellent la signature rythmique et la sonorité distincte de ce que le public va baptiser bientôt « konpa mamba »; une marque déposée.

Avec la voix grave, chaude et rassurante du leader, la musique du groupe de Coupé Cloué a quelque chose d’authentique et de berçant. Elle atteint son apogée dans la deuxième moitié des années 70, lorsque Coupé se met à parler, à « prêcher » comme un prêtre ou un pasteur prend la parole et improvise son sermon. Sauf que ses propos visent en bas de la ceinture et n’ont rien à voir avec le Bon Dieu…

Successivement, St-Antoine, M’ap di et Socis, défrayent la chronique partout en Haïti. Ces morceaux s’étirent sur 15 à 18 minutes, et le patron nous y livre de longs récits bien pimentés avec un débit  bien cadencé. C’est du slam avant la lettre. Cette série de succès culmine avec la désopilante Fanm Kolokent (les femmes calculatrices) pour laquelle l’auteur et humoriste se fait traiter de sexiste et de misogyne.

C’est à ce moment précis qu’ Assad Francoeur fait son entrée en scène, comme  tombé du ciel pour adoucir les choses. Le public connait déjà sa voix pour l’avoir suivie à travers les mutations du Dorémi Jazz, du Safari Combo et du Super 9, mais ce dauphin du roi possède surtout  un flair inné pour l’écriture comme pour la mélodie. Incarnation de la tendresse nonchalante, sa présence va faire de cet album un chef d’œuvre; le plus beau disque de Coupé Cloué, celui ou la poésie remplace la grivoiserie.

Jamais, de mémoire de fan, aura-t-on vu un chef si généreux envers sa relève. Non seulement Assad prend le contrôle du répertoire signe paroles et musique de la plupart des chansons mais les deux hommes alternent d’une pièce à l’autre la responsabilité des parties vocales. C’est simplement fabuleux qu’ils s’entendent de cette façon, sans rivalité. Certes, Coupé nous conte l’histoire de yéyé dans Ça dépend avec un de ces « prêches » dont il a le secret. Pourtant, il s’efface complètement devant son lieutenant, le laissant interpréter seul des chansons-clés comme Collaboré ou encore Miyan Miyan, le long morceau d’ouverture, n’intervenant que dans les ultimes secondes pour mimer comme un baryton un bon solo d’hélicon.

"Miyan Miyan" par Coupé Cloué et l'Ensemble Sélect (extrait)

C’est vrai que cette chanson immuable et intemporelle est déjà un cadeau en soi puisqu’elle avait été écrite en secret pour le légendaire Jazz des Jeunes bien des années plus tôt. Quant à Marie Jocelyne, ce poème bucolique, il est vraiment dédié à la femme de sa vie, son amour de jeunesse qui deviendra la mère de ses enfants. Son refrain énumère les plus jolies fleurs du jardin :

« La rose et le muguet, fleur soleil, chevalier de nuit »

Ainsi, l’année d’après, lors de cette triomphale tournée en Afrique de l’Ouest qui verra le sacre de Gesner Henri sous le nom de… Roi Coupé, Assad Francoeur sera rebaptisé Prince Assali, pour le restant de sa carrière.

 

COUPÉ CLOUÉ ET L’ENSEMBLE SÉLECT - The preacher (Mini Records, MRS 1062, 1978)

Titres :
A1 Myan Myan, A2 
Histoire Théramène, A3 Marie Jocelyne
B1  Yéyé / Ça dépend, B2 
Conseil, B3 Collaboré

Musiciens :
Gesner HENRY, chant et chœurs
Assad FRANCOEUR, chant et chœurs
Edner SAINTINE, chant et chœurs
Belllerive DORCELIEN, guitare lead
Moise JEAN, guitare
Rigal JEAN-BAPTISTE, guitare
Daniel DALCÉ, guitare basse
Ernst LOUIS, batterie
Serge BERNARD, congas
René PÉTION, bongos

Enregistré à Audiotek (Delmas, Haiti)
Ingénieur : Robert DENIS
Mixage : Robert DENIS / Fred PAUL
Production : Fred PAUL

 

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SOMMAIRE

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par Ralph Boncy et Georges "Georgio" Léon-Emile

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2019