Dossier Laméca
LA BIGUINE À PARIS
1. LES PRÉCURSEURS (AVANT 1929)
La biguine, danse originaire des Antilles Françaises, a connu un extraordinaire engouement auprès du public parisien durant toutes les années 1930. Cette vogue de la biguine attira à Paris de nombreux musiciens antillais espérant y trouver une position sociale et une vie meilleure. Mais dès les années 1920, bon nombre de leurs compatriotes les avaient déjà précédés. Certains d’entre eux étaient d’anciens combattants de la guerre de 1914-18 établis en métropole une fois la guerre finie. D’autres étaient étudiants, militaires, travailleurs de modeste condition… qui aimaient se retrouver pour jouer de la musique ensemble. Quelques uns de ces exilés devinrent professionnels.
Parmi ces musiciens de l’avant-garde antillaise à Paris figurent des Guadeloupéens : le guitariste Pollo Malahel arrivé en 1919, le guitariste et saxophoniste Félix Valvert venu en 1921, le trompettiste Abel Beauregard et le tromboniste Jean Degrace arrivés en 1924, les batteurs Albert Refurt, André Matou, Léonard Nadys, Pierre Jean-François, Christian Jean-Romain, Bernard Zélier, le guitariste Vincent Ricler… et des Martiniquais comme les batteurs Florius Notte et Paul Delvi, le clarinettiste Robert Clais ou le banjoïste Robert Charlery…
Paris, capitale de la danse, découvre le jazz
Paris a toujours été une ville où l’on aimait danser et s’amuser. De nombreux bals publics y existaient dès le 18e siècle. Le 19e voit l’essor des fameuses guinguettes des faubourgs de la capitale qui popularisèrent les nouvelles "danses tournantes" : valse, polka et mazurka.
Au début du 20e, apparaissent les dancings, bals musette, thés dansants du quartier de l'Opéra et des Champs-Élysées, et autres établissements diurnes et nocturnes fréquentés par une certaine classe de la société désœuvrée.
Mais les années 1920 voient surtout l'avènement des danses "jazz" anglo-saxonnes et noir américaines : fox-trot, charleston, cake-walk, black-bottom, one-step, shimmy…
Des orchestres américains arrivent en Europe dès la fin de la guerre de 1914-18, tel le légendaire "Southern Syncopated Orchestra" de Will Marion Cook et ses cinquante musiciens à Londres en 1919 puis à Paris en 1921 et 1922. Leur engagement terminé, beaucoup de musiciens noirs préfèrent rester en Europe où ils s’intègrent parfaitement et ne subissent pas les méfaits de la ségrégation raciale. Ils créent de petites formations appréciées du public des cabarets et music-halls.
C’est en jouant du jazz avec des Américains que vont débuter les premiers musiciens antillais à Paris. Albert Refurt sera engagé dans le "Savoy’s Syncops Band" du trompettiste Arthur Briggs pour une tournée en Allemagne et en Autriche en 1923. Abel Beauregard (1902-1958) et Jean Degrace feront partie de l’orchestre du trompettiste Edgar E. Thompson en 1924. Pollo Malahel (1898-1984) et André Matou (1896-1988) débuteront également avec des Américains… Tous ces musiciens ne manquent pas de travail. Royalement payés, élégamment habillés, ils jouissent d’une situation enviée et ne comptent pas leurs succès auprès de la clientèle féminine.
Le Bal Colonial du 33 de la rue Blomet
C’est en 1924 qu’un Martiniquais nommé Jean Rézard des Wouves, après avoir tenu des réunions électorales dans l’arrière-salle d’un café du 15ème arrondissement, trouve l’endroit propice pour y créer un bal destiné à ses compatriotes. C’est bientôt le lieu de rendez-vous de toute la population colorée de Paris, antillaise bien sûr, mais encore Noirs d’Afrique, d’Amérique et de toutes les colonies françaises.
L’existence de ce bal ne tarde pas à être connue des artistes, peintres, poètes, écrivains… qui fréquentaient les cafés tout proches du quartier de Montparnasse. Il devient à la mode de terminer n’importe quelle soirée en allant au "Bal Nègre" danser avec les Noirs. On y croise le poète surréaliste Robert Desnos, les peintres Picasso, Mirò, Foujita et son inséparable Youki, les frères Prévert mais aussi Jean Cocteau, le sculpteur Calder, les photographes Pierre Verger et Man Ray, les romanciers Raymond Queneau, Paul Morand, les peintres Kisling et Pascin et des artistes du music-hall comme Maurice Chevalier, Mistinguett…
Ce phénomène est amplifié par un enthousiasme tout neuf pour les arts primitifs et par la publicité faite autour de divers événements : la "Revue Noire" qui lance Joséphine Baker au Théâtre des Champs-Élysées en octobre 1925, la grande soirée "Bal Nègre" organisée par Paul Colin dans ce même théâtre où se rendront 3000 personnes le 11 février 1927, ou encore le meurtre d’un homme d’affaires par sa femme Jane Weiler au retour d’une nuit passée rue Blomet en décembre 1928.
Le Bal Nègre devient une curiosité touristique de la capitale. Parmi les musiciens qui y jouèrent à son début figuraient : Des Wouves en personne au piano, Robert Clais à la clarinette, les frères guadeloupéens Gilbert, Gaston et Gabriel Bathuel respectivement guitariste, saxophoniste et cornettiste, le batteur Bernard Zélier, le banjoïste Robert Charlery, le saxophoniste martiniquais Frantz Blérald. En 1930, leur succède l’orchestre du violoniste et clarinettiste martiniquais Ernest Léardée. Puis on y trouvera jusqu’en 1939 des formations variables avec des éléments récurrents comme les martiniquais Maurice Noiran à la clarinette et Louis Jean-Alphonse au piano.
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SOMMAIRE
1. Les précurseurs (avant 1929)
2. Stellio et l'exposition coloniale (1929-1931)
3. L'âge d'or de la biguine (1931-1939)
4. Paris, melting-pot musical caribéen
5. L'occupation et le jazz (1940-1944)
6. Le nouvel essor de la biguine (après 1944)
7. Evolution et modernisation d'un style
8. Figures musicales de la Guadeloupe
9. Figures musicales de la Martinique
10. La biguine et le disque 78 tours
11. Bibliographie - Discographie
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par Jean-Pierre Meunier
Iconographie : collection J-P Meunier
© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2005