Dossier Laméca

Le carnaval à Cuba

V. CONCLUSION

 

La conga est, et restera sans doute, nous l’avons déploré maintes fois, tout comme sa sœur de lait la rumba, une musique mal considérée à Cuba, parce qu’elle subit encore des préjugés raciaux ("son cosas de negros" entendra-t-on maintes fois), et parce qu’elle n’a pas de dimension rituelle comme les musiques afro-cubaines, qui ont beaucoup plus d’"intérêt scientifique". Ses chansons sont, à de rares exceptions près, des mélodies basiques moins riches que beaucoup d’autres musiques cubaines, mais sa musique, et particulièrement celle de ses percussions, ne peuvent laisser indifférent : pour moi qui suis percussionniste, la rumba et la conga sont les musiques cubaines les plus difficiles à jouer. Elles demandent de la précision et un sentimiento très difficiles à percevoir et à discerner pour un non-natif, et encore plus à reproduire. La preuve en est que si on peut voir et entendre d’autres musiques de Cuba "relativement bien jouées" par des aficionados non-cubains en dehors de Cuba (aux USA, au Venezuela, au Mexique, en Afrique, en Europe, au Japon): qu’il s’agisse de musiques populaires (son, charanga, bolero, salsa ; timba, etc…) ou de musiques afro-cubaines pratiquées (ou non) par des adeptes de ces religions (batá, congo, güiro, bembé, styles d’oriente…), il est très rare de voir et d’entendre de la rumba et de la conga "relativement bien jouée" par de tels gens. La conga possède, de plus, des exigences physiques considérables : qui n’a jamais tenté de tenir une partie de tambour au sein d’une Conga à Cuba ne peut en témoigner ; quel volume sonore il faut dispenser !, quelle énergie !, quelle force physique il faut pour jouer, marcher, chanter !, tout cela en même temps, et à quelle vitesse !, et pendant des heures !.

On peut constater, très tôt, de la part de l’état cubain une relative prise de conscience du patrimoine important que représentent les comparsas havanaises. Depuis les années 1935, le terme de comparsas traditionnelles a été attribué aux plus anciennes de celles-ci, qui comportent toutes des Congas, par opposition à d’autres comparsas qualifiées de contempóraneas. Les comparsas et les Congas existent toujours, mais on regrette celles qui ont disparu : l’absence de La Danza del León, la comparsa chinoise, est déplorée et ressentie comme un vide. Les comparsas qui ont du mal à se maintenir sont aidées par l’état, et certaines sont entièrement financées et reformées, souvent après des années de disparition, parce qu’elles sont admises comme une vraie expression populaire fondamentale de chaque quartier.

L’Unesco s’est intéressé au carnaval havanais pour le déclarer, lui aussi, patrimoine de l’humanité.

En 2001, dans une communication appelée Carnaval, adressée à tous les décideurs de la culture et à tous les directeurs des comparsas traditionnelles : Los Componedores de Batea, La Sultana, Las Bolleras, Los Marqueses, Las Jardineras, El Alacrán, Los Guaracheros de Regla (1) (celles qui ont défilé lors du carnaval de 2001), Juan García Fernández, directeur administratif et artistique du Conjunto Folklórico Nacional de Cuba, et vice-président du jury du Carnaval de La Havane, a exposé son point de vue en insistant sur plusieurs points importants, et a fait des propositions :

  • Il estime que le carnaval doit être à nouveau interactif, comme il le fut dans les décennies précédentes. Les comparsas traditionnelles, comme toute autre forme de comparsa, sont là avant tout pour se divertir, et non uniquement pour divertir le public. Ce dernier doit pouvoir participer en suivant les cortèges et prenant part à la danse, comme c’est le cas quand les comparsas "sortent" dans leur quartier.
  • Il propose d’enregistrer le répertoire de chaque comparsa traditionnelle, avec ses véritables acteurs, en respectant les particularités de chacune, son tempo, ses toques (ses rythmes), la tonalité de ses chants.
  • Il dénonce la piètre qualité des costumes. En cela, il suggère (sans le dire) que l’Etat aide d’avantage à financer la confection de ceux-ci.
  • Il propose que le style de chaque grande comparsa havanaise reconnue soit enseigné au sein du Conjunto Folklórico Nacional, avec l’intervention des véritables musiciens de chacune d’entre elles, celui-ci constituant non seulement une "troupe folklorique" géante, mais également une école permanente de traditions au sein de laquelle les futurs musiciens, danseurs, chanteurs, chorégraphes, sont formés avant d’intégrer professionnellement les ensembles folkloriques nationaux.

Le carnaval cubain, à travers son histoire, ses innombrables troupes, sa multi-culturalité, est l’expression du peuple cubain la plus universelle. Malgré les péripéties des siècles passés, malgré l’esclavage, les guerres, les révolutions, les problèmes économiques de Cuba depuis 1990 et les difficultés que chaque classe sociale éprouve à partager et à fraterniser avec ses voisines, tous les Cubains l’aiment profondément. Les vieux Cubains regrettent souvent la splendeur des carnavals du passé, les jeunes adhèrent toujours volontiers d’emblée à la danse et à la musique, qui constituent une part importante de la vie à Cuba, à tel point qu’il est difficile pour des étrangers de le constater sans s’être immergé dans le quotidien des Cubains. Le tambour, et la musique en général a une place importante dans la vie d’innombrables Cubains, quelque soit leur couleur.

Il est important de faire connaître au Monde ces traditions, et de les soutenir, en tout cas au moins parce qu’elles sont assez peu diffusées par les Cubains eux-mêmes, qu’il soient scientifiques, politiques, ou musiciens eux-mêmes.

 

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(1) Los Guaracheros de Regla, qui concourt dans la catégorie comparsas contempóraneas ne peut être considérée comme une comparsa traditionnelle, mais elle est organisée sur le modèle de celles-ci, et inclue souvent dans son répertoire des hommages aux grandes comparsas : en 2001, il s’agissait d’un hommage à El Alacrán.

 

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SOMMAIRE

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par Patrice Banchereau

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2012