Dossier Laméca
SURLENDEMAINS DE CYCLONE ET LENDEMAINS D’ÉLECTIONS
Le 27 septembre 1966, la Guadeloupe est frappée d’un violent cyclone qui cause 33 morts, plusieurs centaines de blessés, et 15.000 sans abris. Les vents violents et les pluies d’Inès venus du Sud de l’archipel ont touché plus particulièrement la ville de Pointe-à-Pitre et la côte est de la Guadeloupe. Capesterre est la commune la plus sévèrement sinistrée. Les quartiers populaires nord de Pointe-à-Pitre (Lauricisque, Assainissement) déjà déstructurés par les décasements de la rénovation urbaine sont également durement touchés (article France-Antilles).
Outre les secours venus de l’Etat et redistribués par les municipalités, l’aide aux victimes vient aussi des organisations politiques nationalistes, notamment du GONG et du CPNJG, qui montent, chacune de leurs côtés des associations d’aide et de coups de main aux sinistrés.
En mars 1967, ce sont les élections législatives qui voient s’opposer frontalement trois des fondateurs historiques du Parti Communiste Guadeloupéen (Hégésippe IBENE, Gerty ARCHIMEDE, Paul LACAVE) aux candidats ralliés au parti gouvernemental UNR UDT (Paul VALENTINO, Gabriel LISETTE, Albertine BACLET).
Le GONG et le journal Le Progrès Social appellent à l’abstention comme lors des présidentielles de 1965. La campagne du GONG, particulièrement offensive, appelle à briser les urnes colonialistes. Le nouveau groupe tout récemment constitué autour du journal La Vérité rassemblant les militants du CPNJG et les démissionnaires du PCG, très actif dans les milieux ouvriers de la ville ainsi que dans les cercles de la jeunesse lycéenne et étudiante, soutient pour sa part le candidat dissident du Parti, Yves LEBORGNE, professeur de philosophie, expatrié par l’ordonnance d’octobre 1960.
L’enjeu politique de ces élections est considérable car bien que la Guadeloupe soit gaulliste de cœur, le pouvoir ne se satisfait pas de ne pas contrôler complètement le jeu politique local. Son projet politique pour la Guadeloupe est gêné par les stratégies personnelles locales de certains politiciens « départementalistes » tandis qu’une majorité d’électeurs est encore fidèle au PCG, et qu’une fraction non négligeable de l’opinion parait sensible à certains thèmes de la propagande des « séparatistes ». Le gouvernement attend de ces élections une clarification définitive par un ralliement massif et sans nuances au chef de l’Etat et à la politique de « départementalisation adaptée » qu’il a arrêtée pour les DOM (lettre de mission de P. Billotte à P. Bolotte [à fournir par JP Sainton]).
Le préfet Pierre BOLOTTE, suivant en cela les instructions données par le Ministre d’Etat des DOM-TOM, Pierre BILLOTTE se fait le chef d’orchestre de la campagne des candidatures UNR en mettant les services préfectoraux à la disposition des candidats, en prenant personnellement en main la direction de la campagne, en couvrant administrativement la fraude là où le coup de pouce administratif peut inverser le rapport de force, notamment dans la circonscription où s’affrontent Gerty ARCHIMEDE et Albertine BACLET.
Allant plus loin que les directives gouvernementales, le préfet, qui ne fait pas partie des gaullistes de cœur, veut faire montre de ses bons et loyaux services pour revenir en grâce auprès des hautes sphères gouvernementales. Convaincu de la faible assise populaire et de l’inefficacité organisationnelle du parti UNR de Guadeloupe il caresse le projet personnel de réussir à constituer une nouvelle base politique fédérant autour de la politique de départementalisation adaptée du gouvernement, une nouvelle classe politique aux ordres réunissant les jeunes têtes de l’UNR (Léopold HÉLÈNE, Albertine BACLET), certains des politiciens ralliés de la vieille SFIO (Paul VALENTINO, Frédérick JALTON) jusqu’à certains des élus du Parti Communiste guadeloupéen (Paul LACAVE, Henri BANGOU) que le préfet tient pour le parti le mieux organisé et le plus susceptible d’influencer les masses.
Au soir du 1er tour, le 5 mars, les 3 candidats communistes sont en tête avec de sérieuses chances de l’emporter au second (extrait de France Antilles donnant résultat du 1er tour des élections).
Mais au second tour, le 12 mars, le seul communiste à être élu est Paul LACAVE, qui garde une majorité écrasante dans sa commune de Capesterre. Hégésippe IBENE n’a pas bénéficié des voix du dissident communiste LEBORGNE qui a refusé de se désister en sa faveur. Il est battu par VALENTINO. Dans la 3ème circonscription, c’est la fraude et la corruption couverte par l’administration qui assure la défaite de Gerty ARCHIMEDE (extrait de France-Antilles donnant résultat final élection législative mars 67).
Avec 2 candidats UNR élus et 1 candidat communiste, jugé « modéré et susceptible d’être rallié » le préfet peut néanmoins envoyer un bilan satisfait au Ministre.
Cependant à Basse-Terre comme à Pointe-à-Pitre les législatives ont laissé des traces dans les esprits et dans les coeurs.
A Basse-Terre, la tension d’après élection persiste car les gens qui ont voté massivement pour ARCHIMEDE ont le sentiment d’avoir été dépossédés de leur victoire, d’autant plus que la candidate communiste avait été annoncée victorieuse, lors d’un premier décompte des voix.
A Pointe-à-Pitre, la déception est forte chez les communistes car la défaite politique d’IBENE, signifie aussi le retour sur la scène de l’ancien maire Paul VALENTINO, qui reste une forte personnalité jouissant encore d’une certaine popularité dans les milieux urbain. Aussi, dans les milieux dirigeants de la municipalité la déception se mue en véritable rancoeur à l’encontre des autonomistes « radicaux » de La Vérité à qui ils imputent la défaite électorale et dont certains sympathisants siègent au conseil municipal.
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AVANT-PROPOS
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par Dr Jean-Pierre Sainton
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