Dossier Laméca

Musique et condition servile aux Antilles françaises au 18ème siècle

I. HISTOIRE CULTURELLE ET SOURCES COLONIALES

 

Il y a plusieurs angles d’attaque possibles pour aborder l’étude des musiques pratiquées par les esclaves. Ici on insistera sur les relations entre musique et condition sociale des esclaves. Il s’agit non seulement d’approfondir les liens entre l’activité culturelle et la situation des individus ou des groupes mais d’intégrer cette histoire culturelle à l’histoire de la colonisation.

La grande difficulté de l’étude est directement liée à la situation elle-même. Cette histoire doit être retracée à partir de sources émanant, pour l’essentiel, des colons. Nous ne disposons pas, en général, d’informations venant des esclaves eux-mêmes. On peut avoir une idée des problèmes posés en étudiant de près la manière dont les informations circulent à cette époque.
Dans la documentation disponible un auteur jouit d’un prestige inégalé : Moreau de Saint-Méry. Ayant réuni une profusion de documents de première main, ainsi qu’une longue série de notes personnelles sur tous les aspects de la vie coloniale de la seconde moitié du XVIIIème, il est la référence de toute étude des possessions coloniales françaises de la fin du XVIIIème. Sa prise en compte dans la description de la musique des esclaves semble aller de soi. Mais, en réalité, cette source est à considérer avec une grande prudence.

On peut montrer en effet que ce qui parait être un témoignage est en fait, dans certains cas, une compilation d’écrits antérieurs. Cette compilation n’est toutefois pas systématique, ce qui complique fortement l’analyse de l’information que l’on peut retirer de ses textes.

Le texte suivant est tiré de la Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle de Saint-Domingue, (ci-dessous Description, voir en fin pour la référence complète des ouvrages) et décrit les deux types de tambours utilisés pour danser le calenda :

Pour danser le Calinda les nègres ont deux tambours faits, quand ils le peuvent, avec des morceaux de bois creux d’une seule pièce. L’un des bouts est ouvert, et l’on étend sur l’autre une peau de mouton ou de chèvre. Le plus court de ces tambours est appelé Bamboula, attendu qu’il est formé quelquefois d’un très gros bambou. Sur chaque tambour est un nègre à califourchon qui le frappe du poignet et des doigts, mais avec lenteur sur l’un et rapidement sur l’autre.
(Description , p. 63)

Il est publié en 1797 à partir d’observations dont on ignore la date. Si on le compare au texte écrit un siècle plus tôt par le père Labat (observations faites en 1697 et publiées en 1742) les ressemblances sautent aux yeux :

Pour donner la cadence à cette danse [le Calenda] ils se servent de deux tambours faits de deux troncs d’arbres creusez d’inégale grosseur. Un des bouts est ouvert, l’autre couvert d’une peau de brebis ou de chèvres sans poil, grattée comme du parchemin. Le plus grand de ces deux tambours qu’ils appellent simplement le grand tambour, peut avoir trois à quatre pieds de long sur quinze à seize pouce de diamètre. Le petit qu’on nomme baboula a à peu la même longueur, sur huit à neuf pouces de diamètre. Ceux qui battent les tambours pour régler la danse, les mettent entre leurs jambes, ou s’asseyent dessus, et les touchent avec le plat des quatre doigts de chaque main. Celui qui touche le grand tambour, bat avec mesure et posément ; mais celui qui touche le baboula bat le plus vite qu’il peut, et sans presque garder de mesure, et comme le son qu’il rend est beaucoup moindre que celui du grand tambour, et fort aigu, il ne sert qu’à faire du bruit, sans marquer la cadence de la danse, ni les mouvements des danseurs.
(Père Labat, Nouveau voyage aux Isle françaises d’ l’Amérique, chapitre IX)

On est d’autant plus fondé à conclure qu’il s’agit là d’une copie que cette pratique a déjà eu lieu au moins deux fois avant Moreau de Saint-Méry. En effet on le retrouve, en 1751, dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert (recopié par l’auteur des articles « Bamboula » et « Calenda » , Le Romain, ingénieur en chef à Grenade, qui écrit également les autres articles traitant des Antilles). Plus tard c’est Compan auteur en 1787 d’un Dictionnaire de danse qui utilisent ce même texte du père Labat (article Kalenda ou Calenda). Le phénomène de copie ne s’arrête d’ailleurs pas après Moreau de Saint-Méry comme en témoigne l’ouvrage de Carlo Blasis datant de 1830, le Code complet de la danse, qui reprend, à propos de la chica, des paragraphes entiers de Danse, l’opuscule de Moreau de Saint-Méry.

On le voit le texte de Moreau de Saint-Méry est pris dans une liste de copies successives et ne constitue pas une source d’information fiable. Quelle conclusion en particulier peut-on tirer de la redondance de textes qui se plagient ? Certainement pas celle de la preuve du maintien de traditions, car elles n’ont pas été observées directement. Dans la pratique, tout texte colonial doit donc être étudié de façon critique pour contourner cette difficulté majeure permanente, d’autant plus importante dans ce domaine qu’il est pratiquement impossible de croiser les données. Pour ne pas alourdir le propos on évitera cependant dans la suite de cette présentation de mettre à chaque fois le détail de l’analyse critique préalable à toute prise en compte des sources coloniales, elle sera sous-entendue.

 

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SOMMAIRE

I. Histoire culturelle et sources coloniales
II. Musiques des esclaves
III. Les colons face à "la musique" des esclaves
IV. Fonctions de la musique des esclaves
V. Contacts de civilisation
VI. Conclusion
Bibliographie
Conférence audio

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par Dr Bernard Camier

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